Déchetterie pour le Vieux Marché, une occasion manquée – ou quand même pas ?
Leçon de choses : comment une fonctionnaire torpille une bonne idée, en cinq épisodes.
En 2009, un étudiant en écologie sociale, Xavier Courtois, effectuant un stage au CPAS, remet dans le cadre de ses études un travail portant sur “La revalorisation des déchets, étude de base, projet pilote dans les Marolles”. Il s’agissait de lutter contre les dépôts clandestins en les transformant en ressources utiles. Entre autres conclusions cette intéressante étude préconisait l’installation d’une déchetterie sur le terrain vague situé à l’angle de la rue de l’Hectolitre et de la rue Sainte-Thérèse (en face du commissariat de police). La déchetterie aurait été couplée à une “ressourcerie”, où l’on se proposait de recycler les objets abandonnés à la déchetterie, et de les réinjecter dans le circuit commercial. Si nous doutons de la faisabilité d’une ressourcerie (1), nous sommes par contre très en faveur de l’installation d’une déchetterie de proximité liée au Vieux Marché.
Entretemps, la Ville a préféré construire une crèche sur ce terrain. Bonne chose en soi, mais enfin il aurait été possible de la mettre à l’étage, et d’installer la déchetterie au rez-de-chaussée. “Impossible”, me direz-vous ? Je vous répondrai qu’une crèche communale était établie au 13ème étage des “Nouveaux blocs”, rue Haute 363, et ce de 1960 à 2015. Mais soit.
1. La problématique des déchets du Vieux Marché refait surface à la faveur du Contrat de quartier des Marolles (CDQ), initié par la Région en 2017. Pendant les quelques mois d’élaboration du programme, le bureau d’études évoque l’idée d’une “déchetterie-ressourcerie”, ce qui paraît une bonne idée. Mais derrière ce flou langagier, se trouve en fait le projet du CPAS d’une ressourcerie, SANS déchetterie (dont coût : 2 millions €) à installer sur une friche lui appartenant rue des Faisans (terrain de l’ancien marchand de bois Vasse). Cela permettrait de fournir quelques emplois (emplois aidés, formation) mais surtout de faire financer la réhabilitation de son terrain par des subsides régionaux. On pourrait dire : “Pourquoi pas, cette manne d’argent extérieur est certes bienvenue”. Mais à y regarder de plus près, c’est consacrer à un projet “hors sol” (qu’on dirait pensé par des gens manquant d’esprit pratique), des subsides qui pourraient bien plus utilement servir aux besoins réels du quartier.
2. Lors des consultations de la population organisées dans le cadre de ce CDQ, supposées asseoir la “Participation des citoyens”, nous avons à chaque fois relevé l’erreur fondamentale de conception de ce projet. À chaque fois l’idée d’une déchetterie couplée à la ressourcerie projetée fut rejetée comme impraticable. Alors on s’interroge : d’où provient cette résistance farouche ? Où est-ce que ça coince ? Est-ce que les subsides du CDQ ont été savamment répartis entre les différents échevinats et services de la Ville, et que notre proposition remettrait en question un délicat arbitrage entre baronnies ? Freinage de bureaucrates ? Impossibilité de faire collaborer dans un projet commun deux administrations distinctes, à savoir le CPAS et la Propreté Publique ? Le tout en même temps ? D’autres mécanismes que nous ignorons ? C’est l’opacité.
3. Devant ce refus obstiné, nous avons alors proposé une recherche participative menée parmi les habitants et usagers du Vieux Marché pour mieux cerner leurs besoins et ceux des échoppiers (accusés de générer les dépôts clandestins) et d’examiner finement comment lesdits dépôts se créent. Les interviews seraient réalisées par des gens du cru, des “habitants-experts”, connaisseurs des lieux. L’étude se ferait “à livre ouvert”, les différentes étapes et hypothèses intermédiaires publiées en ligne sur un blog, consultable par n’importe qui. Et d’inviter tout un chacun (en précisant quand même “d’où il parle”) à réagir à ces interviews. Le gestionnaire/modérateur du blog devrait pouvoir s’assurer de l’identité de l’intervenant, tout en la masquant aux yeux du public. Nouveau refus catégorique.
4. Puis vint l’étape où l’ensemble des projets du CDQ devait passer pour avis devant la Commission de Concertation. Là, les fonctionnaires régionaux (à l’esprit moins verrouillé par des intérêts communaux) ont compris nos critiques. L’avis qu’ils ont rendu le 5 avril 2018 préconise “au vu de la complexité de la problématique des déchets dans le quartier”, la réalisation d’une “étude extérieure sur le flux et la gestion des déchets”, comme “préalable” à la construction de la ressourcerie.
5. Lorsque la fonctionnaire en charge des CDQ à la Ville, Nicole Vanderhaeghe, présenta 15 jours plus tard aux habitants l’avis de la Commission de Concertation, cela se traduisit par “faire réaliser l’étude extérieure sur le flux et la gestion des déchets par un bureau spécialisé (coût : 100.000 €)”. Entrée du technicien. Sortie de l’habitant-expert. Circulez, y a rien à voir. Le dossier de base du Contrat de Quartier Marolles est approuvé en l’état par le Conseil communal, puis il passe le cap du Gouvernement régional. Vacances.
Le 17 septembre 2018, lors de la réunion de rentrée de la Commission de quartier (CoQ), on nous apprend qu’à la suite d’un appel d’offres restreint, le bureau Idea Consult a été désigné pour réaliser l’étude sur le flux et la gestion des déchets dans les Marolles. Nous demandons à consulter le cahier des charges, afin de vérifier ce qui a précisément été demandé au bureau spécialisé. Refus net de la fonctionnaire précitée. Cette dame feint d’ignorer que la Convention des Nations Unies signée à Aarhus le 25 juin 1998 sur “l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement” oblige les pouvoirs publics à fournir ce genre de renseignements. D’autant plus que le bureau ayant déjà été désigné, la communication de cette information n’est pas de nature à fausser l’appel d’offres. Mais voilà, quand la bureaucratie s’allie à la technocratie, le citoyen peut aller se recoucher. Circulez, y a rien à voir, qu’on vous dit.
Tout cela a des conséquences qui vont au-delà de cette histoire tordue menée par des fonctionnaires alliés à des politiciens de mauvais vouloir. Ces manières de faire dégoûtent les gens de la politique, c’est-à-dire de se mêler de ce qui les regarde : il va sans dire que les gens non avertis, modaux, qui sont passés en curieux lors de l’une ou l’autre présentation organisée par la Ville, s’en sont allés au bout de 20 minutes et ne sont plus jamais revenus. C’est que les gens normaux comprennent vite qu’ils n’ont rien à gagner à participer à un jeu selon eux perdu d’avance. On ne trompe pas facilement ces gens-là. N’ont plus participé aux CoQ et aux Assemblées générales que les initiés et les pugnaces. Ceux-là se sont réunis, ont analysé, questionné et ont imprimé avec des bouts de ficelle le vaillant petit journal que vous tenez en main. La démocratie, c’est du travail !
Il y a une suite : [Ce qui précède a été écrit fin septembre] Le 16 novembre, à la dernière CoQ, on a vu apparaître dans le compte-rendu de la réunion précédente des extraits choisis de ce fameux cahier des charges soi-disant secret. Si on y mentionne que “l’adjudicataire devra émettre, le cas échéant, un avis circonstancié sur le bien-fondé de la localisation des dispositifs envisagés, dont notamment celui d’une ressourcerie”, on n’y pipe en revanche pas un mot d’une éventuelle déchetterie. Le compte-rendu ne relève pas non plus le refus net de la fonctionnaire de nous communiquer le document demandé. Et le 16 novembre, cela devient : “J’ai consulté le service juridique de la Ville pour savoir si cela m’était autorisé”. Bien sûr, le service juridique en question tarde à répondre. Lorsque nous avons proposé de nous adresser directement à ce service, sa réponse a été : “JE suis la Coordinatrice des Actions de Revitalisation” (traduction : Heulà, manneke, c’est par MOI que ça se passe !).
Ces manœuvres de retardement, sinon de dédit, interpellent, alors qu’en bonne logique participative, la CoQ aurait dû être consultée sur les modalités de cette étude, l’idée venant d’elle.
Quant au reste, le bureau d’études Idea Consult est venu présenter à cette réunion la manière dont il allait travailler. On demande à voir. Mais on se dit, au vu de ce qui précède, qu’il ne pourra guère s’écarter des balises fixées “par ceux qui paient les musiciens”.
… Et l’on se prend à rêver de fonctionnaires et de personnel politique désireux de servir avec bienveillance la population, avec l’ambition d’installer un climat serein de franche participation, dans un esprit d’ouverture marqué par la confiance des parties. 😉
• Patrick Wouters
1. Imaginer qu’on pourra trouver une belle pièce jetée en rue, dans les Marolles, c’est se faire des illusions. Dans les Marolles se concentrent précisément les connaisseurs : tout le monde y connaît la valeur des objets, et sait où les revendre. Tout ce qui a de la valeur est parti. Ce qui est abandonné en rue est strictement invendable.
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