L’échevin de la Participation
Un article dans le journal : “Un vaste travail de consultation des habitants a été mené”. Sur la photo, pas un seul habitant. Un échevin. Son identité importe peu. Celui-là veut rénover mon quartier, mais qu’importe le nom de mon quartier. Et qu’importe la parfaite exactitude des échanges reproduits ici. Cet échevin, il est de Bruxelles-Ville, de Schaerbeek ou de Libramont. Il est du MR, du PS, ou d’un autre parti. C’est l’échevin de la Participation citoyenne. Il est d’accord avec vous, mais il ne comprend pas ce que vous dites.
L’échevin de la Participation auquel nous nous intéressons ici, a comme autre compétence la Revitalisation urbaine. Ça tombe bien : il doit gérer la transformation d’un quartier (plusieurs dizaines de millions d’euros investis sur quelques années) via un dispositif qui se pare des vertus de la participation. “Un travail approfondi a été mené avec les habitants”, confirme le journaliste, qui n’a pas interrogé le moindre habitant. Seul interlocuteur, l’échevin remplit tellement bien son rôle qu’il parle presque au nom des habitants – en tout cas, au nom des habitants consultés, dont il égraine les besoins et aspirations : “Ils sont 86 % à penser ceci, tandis que sur tel sujet 60 % estiment cela”… De là à en tirer les conclusions politiques, il n’y a plus qu’un pas — qui se franchira de manière participative, cela va sans dire. Et alors que l’article invite les habitants à se voir “soumettre” un pré-diagnostic, c’est-à-dire à participer à la phase d’identification des problèmes et des besoins, le titre indique : “Déjà des pistes de solution”. Le paradoxe de la participation institutionnelle et politique est écrit ici, en caractères gras.
“Plus de 600 personnes ont été interrogées”, dit l’échevin dans le journal. Ah, pense alors le lecteur : “Les pourcentages évoqués plus haut se rapportent à un échantillon de 600 personnes”. Sur un quartier d’environ 14.000 habitants, cela fait 4 % de la population locale : c’est peu… Mais le bon citoyen que je suis, qui “participe” et qui a un peu suivi le processus de consultation, est dubitatif : dans ces chiffres, quelle part de réponses obtenues via un formulaire sur Internet, pour quelle proportion d’habitants du quartier…?
J’écris “sur les réseaux sociaux” quelques lignes narquoises sur le sujet. Ni une ni deux, l’échevin répond : “Je mise beaucoup sur la participation partant de l’expertise des habitants et des travailleurs du quartier. Cette participation s’organisera tant pour la réflexion que pour la mise en œuvre des projets décidés ensemble, en toute transparence, pendant tout le processus. J’ai fait de la participation citoyenne une priorité !” Pour un échevin de la participation, la priorité est somme toute banale. Mais prenons acte : il écrit que les projets seront “décidés ensemble”, “en toute transparence”… N’ayant toutefois pas de réponse à ma question sur les chiffres, j’insiste.
Lui : “C’est au bureau d’études qu’il faut poser votre question, mais au dernier comptage il y avait 90 réponses du quartier.” Sentant probablement venir ma réponse perfide et dépitée (90 habitants sur un quartier d’au moins 14.000 âmes, cela fait 0,6 % de la population !), il enchaîne : “L’enquête online est un outil parmi beaucoup d’autres. Nous avons fait des PowerPoints. Trois réunions citoyennes grand public ont déjà eu lieu. On me dit que ma prédécesseure avait déjà fait le travail d’explication. Mais je le fais avec plaisir. Je fais du porte à porte. Nous rencontrons les associations. Je mets un point d’honneur à diffuser le plus largement tous nos documents : ils sont en ligne et disponibles en version imprimée à notre antenne. Je donne aussi des interviews pour susciter le débat. Et je trouve vraiment positif que vous y contribuez même si je me permets de répondre à certaines critiques.”
Moi : “Mais… le rôle des associations n’est pas de représenter les habitants auprès du politique, beaucoup de gens dans ce quartier n’ont pas accès à Internet, votre antenne n’est ouverte que deux demis-jours par semaine, vos prospectus sur papier glacé ne sont pas parlants et ne donnent pas envie, vos réunions PowerPoints sont endormantes… Et un échevin qui fait du porte-à-porte et donne des interviews, à un an des élections, ce n’est pas de la participation. Si cette participation était en tellement bonne voie, comment expliquer que la dernière ‘grande réunion citoyenne’ ait attiré moins de 10 habitants (plus qu’un ou deux en fin de séance) ? Alors que le sujet était important (soumettre aux habitants le diagnostic fait sur leur quartier), pourquoi l’invitation à cette réunion n’a pas été distribuée en toutes-boîtes ?”
Lui : “Oui, cette réunion était en-dessous de nos espérances. Le personnel de l’administration a la charge de distribuer les invitations, mais manifestement tout le monde ne l’a pas reçue.”
Moi : “Ce jour-là, vous avez dit que vous alliez réorganiser cette réunion dans les trois semaines. Cela fait plus d’un mois, et toujours rien n’a été annoncé.”
Lui : “Nous avons finalement décidé d’organiser cette réunion fin novembre.”
Moi : “Fin novembre ? Le diagnostic aura été validé, vous serez déjà à l’étape suivante… Tout ça va trop vite. Une participation demanderait des dispositifs bien plus variés, démocratiques et patients, surtout dans un quartier populaire où les gens ont des préoccupations plus importantes. La grande majorité des habitants n’a probablement même pas encore entendu parler de votre plan, vous n’avez pas pris le temps de leur expliquer ce qu’implique votre processus, comment ils peuvent s’y exprimer, qui est responsable de quoi, les différentes phases, les budgets en jeu… et vous, vous en êtes déjà au choix concret des projets.”
Lui : “Nous sommes bien d’accord. Mais il y a un malentendu : la participation, en cette première année de processus, est organisée par le bureau d’études.”
Moi : “Si vous n’avez de pouvoir ni sur le bureau d’études qui doit organiser la participation cette année, ni sur l’administration qui doit distribuer les toutes-boîtes, à quoi servez-vous ?”
Lui : “Bien sûr que j’ai des responsabilités. Mais vous avez raison pour le timing, il est serré, la Région nous l’impose. C’est d’ailleurs la raison de mon engagement personnel dans le processus.”
Moi : “Je fais partie de la Commission de quartier, que vous présidez, elle ressemble plus à un gadget servant à légitimer le processus qu’à un espace de débat et de concertation. Elle comprend peu d’habitants. Elle est censée remettre des avis mais son fonctionnement est opaque, les dates de réunion sont envoyées plic-ploc, parfois tard, les membres n’ont pas de droit de regard sur les ordres du jour, ni même le temps de réellement débattre…”
Lui : “Je vous remercie pour vos questions sur la Commission de quartier, j’ai déjà répondu à votre email du 29 octobre. Pour le reste, je prendrai le temps de vous expliquer toutes les étapes du processus lors de la prochaine réunion.”
Moi : “Non. Vous m’avez envoyé une réponse de politesse, sans réponse à mes questions. Quant au processus, je ne vous demandais pas de l’expliquer devant la Commission : je vous parlais de mener un travail de pédagogie et de participation adressé à l’ensemble du quartier.”
Lui : “Je partage aussi votre avis. Nous avons bien tous les outils pour faire de la participation citoyenne active. J’en ai fait une priorité et les moyens sont là. N’hésitez pas à nous conseiller pour aller plus loin. Franchement, on n’y arrivera qu’ensemble. De mon côté, je fais le max et suis à votre disposition. Voici mon numéro de gsm.”
Échevin de la Participation, c’est un métier…
• Gwenaël Breës
Article écrit en janvier 2018 pour le journal “Kairos”, d’après une inspiration puisée, pas très loin, dans des échanges avec l’échevin de la Participation…
(Photo : Gwenaël Breës)