Carte blanche

Vers une coopérative d’habitants rue Haute ?

En réponse à la mise en vente de nos logements par notre propriétaire actuel, nous, habitants de l’immeuble situé au n° 51 de la rue Haute, cherchons à créer une coopérative d’habitants : un modèle collectif, solidaire et durable pour faire face à la gentrification galopante du quartier.

Le supermarché Lidl de la rue Haute 51 connaît un succès indéniable depuis son ouverture. Néanmoins, peu de personnes qui le fréquentent se doutent de ce qui est en train de se produire dans les 20 logements situés au-dessus. Car ces logements risquent bien de devenir les dernières victimes de la spéculation immobilière et de la gentrification du quartier.

Il y a de tout dans notre immeuble : des personnes qui sont nées dans les Marolles et habitent là depuis toujours, d’autres issues des différentes vagues d’immigration, des jeunes et des moins jeunes, des étudiants et des pensionnés ; tous ces parcours de vie qui ont une chose en commun : des revenus modestes. En effet, nos loyers sont raisonnables. Trop raisonnables sans doute, pour ceux qui pensent que le logement est avant tout une marchandise.

Fin septembre 2024, c’est le choc. Nous recevons un courrier recommandé nous signifiant la mise en vente de nos logements, l’un après l’autre. Le courrier nous donne l’option d’acquérir nos logements, mais à des prix hors de portée de nos bourses (+ de 4000€/m² !). Au vu du marché actuel et de nos revenus, devoir quitter nos logements signifierait pour nous devoir quitter Bruxelles.

Une coopérative d’habitants contre la spéculation

Après le choc initial, nous nous retrouvons dans le hall de l’immeuble pour échanger. Que faire face à cette nouvelle ? Nous en arrivons à une conclusion commune : nous sommes bien déterminés à nous battre pour pouvoir rester là où nous sommes.

Afin de préserver nos logements et garantir une stabilité à long terme, nous avons décidé de nous organiser pour lancer un projet d’achat collectif sous forme de coopérative d’habitants. Accompagnés par le Community Land Trust Bruxelles (acteur innovant du logement social), SAW-B (acteur de soutien à l’économie sociale), et les associations locales (Comité de la Samaritaine et Union des locataires marollienne), nous avons travaillé à la création d’un modèle qui allie solidarité et justice sociale.

L’objectif de la coopérative d’habitants que nous proposons est de garantir des loyers abordables à long terme qui nous permettront de rester dans nos logements aussi longtemps que nous le souhaitons. La coopérative permettra ainsi de mettre l’immeuble à l’abri des logiques spéculatives, ce qui permettra aux prochains locataires de continuer à bénéficier de ces loyers abordables. Tout cela dans le cadre d’une gestion démocratique, où chaque décision sera prise collectivement.

Le propriétaire insensible au projet

Pour concrétiser ce projet, nous avons remis une offre d’achat collective le 13 janvier 2025. Malheureusement, le propriétaire a jugé que le prix proposé par les locataires était insuffisant. Nous avons remis une deuxième offre plus élevée le 10 février 2025, qui a à nouveau été refusée par le propriétaire. Celui-ci n’a pas été sensible à la dimension sociale de ce projet collectif, préférant maximiser ses plus-values. 

Nous avons aussi eu des échanges avec la Ville de Bruxelles, mais qui à ce stade n’a pas pris d’engagement pour nous soutenir. Pourtant, notre projet ne peut réussir qu’avec le soutien des pouvoirs publics. 

Les logements vont désormais être mis en vente un à un. Un premier logement a été mis en vente à l’heure où nous écrivons ces lignes. Mais nous n’abandonnons pas. Nous nous battrons jusqu’au bout pour notre droit à rester en ville, dans un logement de qualité et à un loyer raisonnable.

Si vous aussi, vous voulez nous soutenir, vous pouvez nous suivre sur les réseaux sociaux (@coop.haute51 sur Instagram et Facebook) ou nous écrire : coophaute51@gmail.com. Ensemble, nous pouvons lutter contre la spéculation et la gentrification.

Le collectif Coop’Haute 51


Qui est le propriétaire ?

L’immeuble est propriété de Immobe SA, une société immobilière créée en 2018 par Aedifica SA, une société immobilière active dans le secteur des soins pour seniors, afin d’y placer son patrimoine résidentiel. Elle désormais détenue à 75% par Praemia REIM, un gestionnaire d’actifs immobiliers luxembourgeois qui est le décisionnaire principal, et 25% par Aedifica SA. 

Immobe revend actuellement une partie importante de son portefeuille à la découpe. Plusieurs biens ont été vendus, et l’immeuble du 51, Rue Haute fait partie d’une série de 11 biens dont la mise en vente a été lancée en 2024.

Praemia REIM possède en tout 4% de son portefeuille immobilier en Belgique, dont le centre commercial Basilix, les locaux commerciaux regroupés dans High Street Retail, et le groupe de coliving Sharies, qui possède quatre colivings à Bruxelles. 

Sur son site, Praemia REIM professe porter des valeurs de solidarité et proximité, et met en avant ses engagements en matière de Responsabilité sociale d’entreprise. Soutenir un projet collectif pour un logement abordable et durable ne semble pas faire partie de ceux-ci.

Témoignages de locataires 

Dora vit dans les Marolles depuis 15 ans. Elle y a ses repères, son appartement, ses liens. Mais aujourd’hui, avec la pression immobilière, elle se voit contrainte à envisager l’impensable : quitter la Belgique. « Je ne pourrai jamais payer un loyer plus cher, ni ici, ni ailleurs. » Le seul horizon qu’elle voit si elle perd son logement ? L’exil.

Pour Sébastien, qui vit dans les Marolles depuis 9 ans, ce quartier est le centre de son équilibre. Son travail est à un kilomètre, sa vie artistique gravite autour des lieux culturels du coin. Son appartement, c’est le point d’ancrage de cette double vie. « Déménager, c’est un arrachement. C’est perdre un réseau, une énergie, une communauté. »

Depuis sa naissance, Hélène vit dans les Marolles. Sa mère tenait un magasin de chaussures rue Haute. Hélène, elle, a grandi au rythme des brocantes, des fêtes bruegeliennes, et des liens solides tissés dans ce quartier vivant. Aujourd’hui, cela fait quinze ans qu’elle vit dans son appartement. Pour elle, déménager, ce serait risquer sa santé, sa stabilité, et son bien-être. Ce serait perdre son quartier, son histoire, ses repères.

Depuis plus de dix ans, Marta a construit sa vie dans cet immeuble des Marolles. Ici, elle a trouvé une stabilité précieuse, entourée de ses voisins et de ses habitudes. Son appartement est bien plus qu’un simple logement : c’est un refuge, un ancrage dans un quartier vivant et dynamique. Marta vit avec sa fille et son petit-fils, scolarisé dans le quartier. Déménager signifierait déraciner toute une famille, perturber la scolarité de son petit-fils et s’éloigner de son lieu de travail. C’est remettre en question un équilibre familial et professionnel patiemment construit.

Karine vit dans cet immeuble depuis 27 ans aux côtés de sa mère, qu’elle soutient au quotidien. Elles ont construit un quotidien fait de proximité : médecins, commerces, transports… L’idée d’un déménagement les effraie. « Trouver un logement à deux chambres, abordable, c’est mission impossible. Avancer une garantie, payer plusieurs loyers à la fois ? On ne peut pas. » Ce logement, c’est un espace rempli de souvenirs, un lieu de soin mutuel, de présence, d’histoire.