Un restaurant, modèle réduit du Contrat de quartier

Projet mal ficelé ne répondant pas aux besoins des habitants du quartier, processus participatif inexistant, attribution des budgets et choix des porteurs opaques… Le futur restaurant à économie sociale que nous concocte la Ville est révélateur de bon nombre de dysfonctionnements du Contrat de quartier (CDQ) Marolles.

L’histoire commence fin novembre 2017. Le président du CPAS de Bruxelles, M. El Ktibi livrait dans les colonnes de “La Libre Belgique” les “projets du CPAS retenus pour le futur contrat de quartier”. Parmi ceux-ci figurait un “restaurant durable”. L’annonce et l’assurance de M. El Ktibi ont alors de quoi surprendre. Aucune information n’avait alors filtré au cours des commissions de quartier (CoQ), censées représenter le quartier et ses habitants tout au long du processus du CDQ et dont la première réunion n’avait eu lieu que quelques mois plus tôt. L’information était d’autant plus surprenante que le programme du CDQ était censé être en cours d’élaboration, de manière “participative”.

Si le projet a bien été retenu, il est passé des mains du CPAS à celles des départements Affaires économiques et Urbanisme de la Ville. L’échange s’est fait sous cape, sans transparence. La Ville a sans aucun doute convaincu le CPAS, largement gâté dans l’attribution des projets du CDQ, de consentir à faire un petit cadeau aux deux départements, parents pauvres du CDQ, sans projet conséquent à se mettre sous la dent.

Malgré le peu d’informations actuellement disponibles sur le contenu du projet, on peut commencer à en discerner les contours. Il est question dans les fiches projets (documents émis par la Ville pour les appels à candidatures) d’un restaurant de formation à économie sociale lié à des potagers urbains.

Restaurant presque social

Commençons par nous attarder sur le “restaurant de formation à économie sociale” en tant que tel. Par-là, est entendu un restaurant de réinsertion socio-professionnelle dont la finalité est de former des personnes sans formation et sans emploi aux métiers de la restauration. Les objectifs sont clairs. Pourtant, les messages envoyés à travers différents documents prêtent à confusion. Des amalgames, présents dans les fameuses fiches projets et dans les discours portés par les représentants communaux, sont faits entre ce restaurant à économie sociale et les restaurants dits “sociaux” du quartier. Ils sont au nombre de trois dans le périmètre du CDQ : Poverello, Nativitas (tous deux évoqués par exemple dans le dossier de base du CDQ) ou encore le Comité de la Samaritaine. Il serait également utile de citer les Petites sœurs des pauvres qui distribuent chaque matin une centaine de tartines, ou encore Vrienden van het Huizeke, qui organise un repas tous les derniers dimanches du mois à des prix très abordables.

Il faut souligner que ces restaurants ne sont pas à économie sociale, comme le sous-entend confusément le dossier de base. Ce sont, tous, des restaurants sociaux. Ils s’adressent avant tout à un public précarisé, ne génèrent aucun bénéfice et représentent des lieux importants de sociabilité pour leurs usagers. Ils s’inscrivent également dans une logique d’accompagnement social. L’offre proposée par les restaurants sociaux reste cependant inférieure à la demande. Soumis à la précarité du poly-subventionnement et à l’absence de subsides structurels destinés au secteur de l’aide alimentaire, le secteur est sans cesse confronté à des problèmes logistiques récurrents (insuffisance des capacités de stockage, manque de véhicules et de chauffeur, etc.) et est poussé à trouver de nouveaux modèles d’approvisionnement et de financement.

Selon nos informations, les budgets annuels dédiés par les associations au fonctionnement de ces restaurants varient annuellement entre 50.000 € et 85.000 €. L’ensemble du budget du CDQ censé permettre de “sensibiliser à la consommation et à l’alimentation durable et saine” (1.300.000 €), complètement avalé par le projet de restaurant à économie sociale, permettrait donc de faire fonctionner pendant plusieurs années les restaurants sociaux du quartier et de leur offrir des moyens supplémentaires.

Contrat de Quartier Durable, resto durable ?

Pour en revenir au projet, le restaurant ressemblera sans nul doute à un restaurant comme un autre avec une carte dont la fourchette tournera autour de 12 €. Il ne s’adressera donc pas forcément aux habitants les plus précaires du quartier. On pourra par contre retrouver ces derniers en coulisses. Le personnel sera embauché grâce à des dispositifs de mise à l’emploi, de type Article 60. Notre objet n’est pas ici de remettre en cause les conditions de travail sous Article 60, bien que les griefs puissent être nombreux : caractère non volontaire de l’engagement, faible potentiel formateur et minces perspectives d’emploi comme débouchés, statut au rabais, etc. Là n’est pas le sujet.

Les clients seraient accueillis dans un cadre tendance (voir image) où ils pourront déguster leur plat préparé avec des légumes cultivés dans le quartier. L’initiative viserait en effet à utiliser une partie de la production de futurs potagers installés sur les toits de certains bâtiments du quartier (!) pour la confection des repas du restaurant. On peut supposer que l’approvisionnement d’un restaurant par des bacs potagers installés sur les toits des Marolles ne représenterait qu’une partie infime des produits utilisés en cuisine. Le persil pour décorer le potage aux chicons, sans plus. D’autant plus que ces potagers seraient partagés avec les habitants… La production nécessaire à assurer l’approvisionnement d’un restaurant ouvert tous les jours demanderait l’installation de nombreux bacs, de matériel de serre et d’irrigation au compte-goutte, d’un personnel qualifié et d’une part importante des budgets annoncés du CDQ. Ceux-ci s’élèvent respectivement à 1.009.076 € pour l’acquisition du bien immobilier et à 300.000 € pour les frais de fonctionnement du restaurant…

Quand Laeken s’invite dans les Marolles

Enfin, si le projet n’a pour le moment pas de gestionnaire, tout laisse croire qu’aucune des 120 associations des Marolles n’y sera liée, mais que ce sera l’association laekenoise Resto Modèle qui remportera la mise. Celle-ci gère actuellement un restaurant de formation à économie sociale, le Hazewee, situé à la Cité Modèle, dans un contexte très différent de celui des Marolles. Le projet a largement été évoqué comme porteur potentiel par la ville au cours des CoQ et des échanges informels avec ces représentants. Une initiative “enthousiasmante”, “positive” et autres qualificatifs fleurissent pour l’évoquer. Les résultats paraissent probants selon ses thuriféraires : 80 % des personnes formées trouveraient un contrat dans les trois mois après leur passage dans l’association. On se demande, tout de même, quel type de contrat, pour quel salaire et dans quel secteur… Bon nombre de restaurants du quartier connaissent en effet des difficultés ou ont déjà mis la clef sous la porte. Et la précarité de la situation des employés de l’Horeca n’est plus à démontrer.

Osons également penser que Resto Modèle n’aura pas beaucoup de difficultés à valoriser cette réussite auprès de ses relais politiques. Son Conseil d’administration est notamment constitué par David Weytsman, ancien échevin de la Revitalisation urbaine et de la Participation citoyenne, et donc du CDQ, ainsi que par l’échevine des affaires économiques, Marion Lemesre. L’association était également présidée jusqu’à l’année dernière par Patrick Vanschoenbeek, membre du cabinet de M. Weytsman.

Pas assez de restaurants dans le quartier ?

Soulignons enfin le caractère déloyal d’un futur restaurant largement subventionné par l’argent public et dont la masse salariale sera aussi mince que les revenus touchés par les travailleurs employés. Il est aisé de constater que la concurrence est déjà importante dans le quartier. De nombreux restaurants, sandwicheries, brasseries existent déjà et proposent une offre importante et diversifiée tant au niveau de la composition de leur menu que de la tarification proposée. L’argument a été largement abordé à travers les différentes commissions de quartier et lors de l’enquête publique du CDQ. Interpelée une nouvelle fois à ce propos lors de la dernière CoQ, tenue dans le courant du mois de septembre, la Ville a répondu en soulignant la volonté d’acquérir un bien dans une zone du quartier excentrée afin de ne pas concurrencer les établissements déjà implantés. Rappelons qu’un budget d’un million d’euros sera consacré à l’acquisition de ce bien. Ce montant élevé s’expliquerait par les coûts engendrés par les transformations et les équipements nécessaires pour qu’un bâtiment puisse accueillir en son sein des activités de restauration. Mais pourquoi donc dépenser une somme si importante alors que la Ville possède déjà de nombreux bâtiments dans le quartier (dont le Skieven Architek appartenant à la Régie Foncière de la ville de Bruxelles, un ancien restaurant) ? On peine à en comprendre la raison…

Malgré l’ensemble de ces critiques, copieusement répétées par les membres de la CoQ et au cours de l’enquête publique, les responsables politiques continuent à défendre bec et ongles ce projet et à l’évoquer comme l’un des projets phares du CDQ. Faire parler un homme politique de ses projets, c’est comme demander à un garçon de restaurant si le menu est bon…

Professeur Moussa

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