Éloge de la participation

La participation citoyenne a le vent en poupe. Le pouvoir politique y a de plus en plus recours et une myriade de bureaux d’études spécialisés éclosent un peu partout. Censée se retrouver au centre du processus des Contrats de quartiers durables (CDQ), de nombreu(ses)x participant(e)s s’interrogent quant à la pertinence des dispositifs. Mais finalement, la participation citoyenne, qu’est-ce que c’est, et à quoi ça sert réellement ?

Cela fait un an et demi que de nombreux articles noircissent les pages du “Pavé” sur le programme du CDQ Marolles et sur la manière dont la participation citoyenne y est organisée. Cette participation nous montre aujourd’hui son vrai visage : on peut dire qu’elle s’avère nulle et non avenue. Bien que certains y aient cru plus que d’autres, la plupart des participants se disent qu’au final, on s’est bien fait berner. Il s’agissait pour beaucoup, sans grandes illusions, d’être présent pour rendre le programme “le moins mauvais possible”. Mais même cela ne s’est pas avéré faisable. Malgré de nombreuses propositions et remarques tout au long du processus, de multiples et interminables réunions, des avis profondément réfléchis et complets remis lors de l’enquête publique, les nombreuses revendications des habitants n’ont, à peu de choses près, pas été prises en compte par la Ville et la Région.

On peut donc se demander : la participation citoyenne, à quoi sert-elle, mais surtout au service de qui est-elle ?

Avant tout, il faut se pencher sur ce que les CDQ représentent a priori. Ces programmes de rénovation urbaine sont en effet difficiles à critiquer car ils font appel à des valeurs profondément positives.

Premièrement, un CDQ est difficile à critiquer sur l’ensemble du programme puisqu’il contient à la fois des projets répondant à un besoin social urgent (une crèche par exemple) mais également des projets qui auront comme impact inévitable une hausse des loyers et ainsi le départ de ceux qui ont déjà des difficultés à se loger dans le quartier (la rénovation tape-à-l’oeil de l’espace public, par exemple). Face à une critique du programme, le pouvoir politique répondra donc : “Vous ne voulez pas améliorer les conditions de vie des gens du quartier”. Merci, mais non, merci.

Le deuxième aspect concerne plus particulièrement l’ensemble des dispositifs de participation citoyenne. Ils font également appel à un cadre de valeurs positives liées à l’approfondissement de la démocratie (représentative), à la volonté de placer le “citoyen” au centre du débat, etc. Dès lors, la moindre critique fondamentale de ce système est également rejetée en bloc. Pourtant, en regard du résultat de cette participation dans le CDQ Marolles, le constat est clair : il n’y a pas de place pour le citoyen, ni dans la vie politique, ni dans les décisions qui concernent directement leur cadre de vie (ah si pardon, on peut leur allouer quelques euros pour planter des fleurs)

La participation semble donc plutôt viser d’autres objectifs. Lesquels ?

D’une part, elle joue un rôle de catharsis dans les revendications. En effet, en créant un espace où les revendications des habitants peuvent être exprimées, les dispositifs de participation jouent un rôle de soupape sociale. En permettant l’expression d’une contestation dans un cadre neutre et non conflictuel, l’opposant trouve un espace sans écho à ses revendications. Cependant, ces revendications sont tout de même exprimées dans un contexte qui, à priori, semble ouvert à les recevoir, du moins formellement. Il s’en suit un effet pacificateur sur l’individu ou le groupe initialement contestataire qui, bien qu’il perçoive que ses revendications ne seront pas entendues, se voit rassuré d’avoir pu tout de même les émettre.

Un autre objectif des dispositifs de participation est de légitimer des décisions prises en amont ou à huis clos tout en détendant les tensions et les refus que ces décisions – illégitimes, disons-le – pourraient provoquer auprès des personnes qui en sont les premières concernées. Ils permettent ainsi aux décideurs de s’appuyer sur une apparente adhésion des participants quand bien même celle-ci est inexistante.

Mais cela a pour effet de discréditer toute autre forme de contestation plus directe ou plus frontale. Le cadre de la participation s’impose donc comme le seul espace acceptable d’expression (1). Or, ce cadre est dessiné soit directement par le pouvoir politique, soit par des “spécialistes de la participation”, mais jamais par les participants eux-mêmes (malgré de multiples tentatives dans le CQD Marolles au travers d’un groupe de travail sur la participation, dont l’objectif était précisément d’améliorer ou de s’approprier ce cadre). Le refus du dispositif par certains est alors perçu comme inconstructif, non-citoyen, voire “radical”, dans le sens péjoratif du terme.

D’autre part, la participation citoyenne s’avère souvent non contraignante mais seulement consultative, comme ce fut le cas dans le cadre du CDQ. Or, la notion même de citoyen implique que ce dernier ou cette dernière possède un minimum de pouvoir (c’est à dire la possibilité d’agir) sur son existence, son environnement (matériel et social). On voit pourtant que les décisions restent aux mains des décideurs. Sans caractère contraignant, la participation perd donc sa dimension citoyenne. Elle vise plutôt à rapprocher monsieur et madame tout le monde du pouvoir politique, celui-ci étant conscient de son faible crédit auprès du public. Dans ce cadre, participer, c’est d’une certaine manière admettre que l’on décide à notre place.

De plus, la manière dont est organisée la participation exclut de fait une grande partie des habitants du quartier : horaires tardifs, dossiers difficiles et laborieux à comprendre, langage élevé et technique,… Bien que la Ville se targue d’avoir poussé la participation aux confins des possibles (on les remerciera d’ailleurs pour le fromage bio servi en réunion), une très faible proportion seulement des habitants qui représentent le mieux le quartier étaient présents (les habitants étant en général minoritaires lors des réunions). Dans ces conditions, on peut se demander si le résultat de la participation (s’il y en a un) ne va pas en faveur d’une frange seulement de la population, celle qui détient les connaissances et les capacités de s’adapter à un tel cadre.

Les contrats de quartier durables doivent également être considérés comme des projets urbains qui s’inscrivent eux-mêmes dans un projet de ville plus large (2). Ce projet de ville, c’est celui de la ville capitaliste de demain : une ville faite sur mesure pour les riches, où ils peuvent vivre loin des réalités quotidiennes des exclus, où la seule possibilité d’exister réside dans la consommation et non dans les liens humains qui perdurent aujourd’hui aux Marolles et dans d’autres quartiers, une ville moralisée, rangée, propre, policée, uniformisée.

Il semble donc plus que jamais urgent de s’opposer à ce projet de ville en renouant des liens de solidarités afin de s’opposer frontalement à ceux qui nous imposent la ville encore plus insidieusement qu’auparavant, au travers de dispositifs hypocrites et difficiles à cerner. Bien que leur contexte soit bien différent d’aujourd’hui, les événements qui se sont déroulés dans le quartier de la Marolle en 1969 montrent qu’une opposition frontale et joyeuse est possible envers ce qu’on ne veut pas voir devenir notre ville, notre quartier. En s’opposant fermement à la démolition de la Marolle pendant plusieurs mois autour d’un slogan simplissime mais efficace : “Non !”, ils ont réussi à imposer la vision qu’ils se faisaient de leur futur à ceux qui voulaient le leur arracher. Inspirant. À bon entendeur… Salut !

• Anna Terner

(1) : NEVEU, C., « Démocratie participative et mouvements sociaux : entre domestication et ensauvagement ? », Participations, vol. 1, n° 1, 2011.

(2) : PINSON, G., « Projets de ville et gouvernance urbaine: Pluralisation des espaces politiques et recomposition d’une capacité d’action collective dans les villes européennes », Revue française de science politique, vol. 4, n° 56, 2006.

(Collage : Sabine De Coninck)

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