Dia de Muertos
Avec l’émergence de la pandémie de Covid-19, la mort a pris une place particulière dans notre quotidien : très présente tout en restant aussi abstraite et invisible que d’habitude. Nous sommes allées à la rencontre des personnes qui organisent la Fête des Morts au Centre Culturel Bruegel, pour échanger à propos de cette expérience et évoquer la couleur qu’elle a pu apporter dans la vie de celles et ceux qui restent.
En 2016, Israel Alonso, musicien d’origine mexicaine habitant Bruxelles, a proposé à l’équipe du Centre Culturel Bruegel de célébrer le Dia de Muertos. L’idée n’était pas tant une relecture d’une fête mexicaine dans les Marolles, que de créer un objet hybride permettant la participation active des habitants et des associations du quartier. Au fil des années, depuis la première édition en 2018, la fête a pris corps autour d’une programmation proposant concerts, expositions, présence de musiciens mexicains en résidence, de l’installation d’un autel à offrandes ou encore d’une procession en musique. En vue de préparer la fête, des ateliers créatifs et d’écriture ont été organisés dans des écoles primaires ainsi que dans des homes de vieilles personnes. Au début, il a pu paraître délicat, à certains encadrants de maisons de retraite, de parler frontalement de la mort avec des personnes très âgées. Dans les faits, durant ces ateliers, les aînés ont pu raviver le souvenir d’amis ou de proches disparus dont, par pudeur, ils ne parlent pas nécessairement souvent. Concernant les enfants, les réticences des enseignants étaient doubles. D’abord, à propos du sujet, mais aussi par peur de froisser des sensibilités religieuses, dans la façon de l’aborder. À l’inverse de ces réserves, il a été constaté que l’évocation collective de la mort correspond à un réel besoin chez tout le monde et à tous âges.
L’autel des Marolles
Au Mexique, cette fête populaire est le produit d’un mélange entre les cultures précolombiennes et le catholicisme. Il y a 3000 ans, les civilisations de l’aire méso-américaine se retrouvaient déjà, semble-t-il, autour de festivités qui liaient la vie et la mort. Un temps de partage joyeux avec les ancêtres avait lieu à la fin des récoltes, en septembre, moment de l’année où la nourriture est la plus abondante. Après l’arrivée des Espagnols, la date fut déplacée début novembre, afin de correspondre avec leur fête de Toussaint. Il existe dans les Marolles une certaine facilité à assimiler, à digérer des influences culturelles venant d’ailleurs, en un jeu d’aller-retour. Aussi, chaque personne peut venir à cette célébration bigarrée avec son rapport intime à la mort, sans références religieuses particulières. Il a cependant fallu faire attention que la procession, qui constitue un moment de commémoration avec les défunts, ne soit pas transformée par l’esprit folklorique bruxellois en carnaval ! L’autel à offrandes, lui, a pris une forme très Jeu de Balles, très Vieux Marché.
Un lieu bien vivant, plein de tendresse et de chaleur
Durant la fête des morts de l’édition 2020, la procession a été annulée mais, sur le parvis du Centre Culturel, l’autel a pu rester ouvert au public. Cet autel se présente comme un assemblage de plusieurs dizaines de petits meubles chinés, d’anciennes vitrines de buffets, de commodes aux battants ouverts et habités par des visages, des photos de famille accompagnés d’objets personnels, de bougies et de fleurs. Dans le contexte de semi-confinement de l’automne 2020, il est devenu un lieu salvateur, visité par près de deux mille personnes. Des gens du quartier étaient présents tous les soirs, tout comme des personnes venant de plus loin, qui n’avaient pu célébrer de funérailles dignes de ce nom. Ce lieu d’hommage, ouvert sur l’espace public, répondait à un besoin fondamental. Un lieu où il semblait naturel de se parler des relations entre vivants et morts ou de la difficulté de n’avoir pu être là pour l’autre, au moment de son départ.
Pendant l’édition 2021, deux artistes ont proposé des ateliers durant tout le mois de novembre. Les gens s’inscrivaient, venaient avec la photo d’un défunt puis, en deux heures, fabriquaient et décoraient une boîte avec la technique du métal repoussé. C’est ainsi que les photographies de Camille Desaver, Jean-Pierre Rostenne, Monsieur Dominique ont pris place dans l’autel. Il y avait également des photos de personnes décédées dans les homes et celle du Monsieur qui s’est suicidé dans la rue des Renards. Beaucoup de personnes du quartier lui ont, d’ailleurs, écrit une pensée. Chacun pouvait déposer ce qu’il désirait dans l’autel. Des bricolages faits maison, des petits mots tout simples, souvent très touchants.
Art délicat
Bien sûr, qui dit mort dit rituel. Un certain nombre de choses, de gestes, devaient être faits tous les jours comme débâcher, allumer les bougies, tenir propre et bien sûr, recevoir les visiteuses et visiteurs. Les deux jeunes femmes qui s’occupaient des permanences se tenaient assises près de l’autel. Elles possédaient l’art délicat d’écouter, de tisser des liens, sans être trop invasives. Elles ont recueilli un grand nombre d’histoires personnelles passionnantes. Leur présence était très importante, elle signifiait simplement : ensemble on prend soin des morts.
Merci à Israel Alonso, Célia Dessardo et Christine Rigaux pour l’interview, à la base de cet article.
F. Issac et N. Ida
Dimanche 6 décembre
Contre toute attente, la femme au manteau de fourrure est revenue. Sans bébé et sans chien. Elle a apporté une photo dans un cadre qu’elle a fait pour Jacques. Jacques est un sans-abri de la Gare du Midi qu’elle ne connaissait pas très bien mais qu’elle rencontrait souvent. Il l’a raccompagnée une fois jusque chez elle nous explique-t’-elle. C’est pas le Samu Social qu’elle a appris qu’il était mort du Covid. On cherche avec elle un espace qui lui plaise.
Juste avant la fermeture, les quatre petites filles qui, chaque soir, viennent cajoler les morts des autres, ajoutent des pétales de rose devant la photo de Jacques.
Celia Dessardo
[Photos de l’article de Marie-Françoise Plissart]