To B€ or not to B€ Marolles ?
« L’art contemporain, c’est dépassé… »
(proverbe marollien)
En décembre dernier naissait une initiative commerciale : La Nuit des Marolles. L’affiche réalisée pour l’occasion montrait un jeune cadre dynamique en chemise rose dont les bras étaient remplis de sacs stylisés. L’objectif de cette nuit était de chiner ses derniers cadeaux de Noël dans un quartier « authentique » et avec un état d’esprit « fun ». Fleuristes, antiquaires, fromagers, barbiers, tatoueurs et galeristes étaient prêts pour accueillir une foule consommatrice dans un quartier qui, selon les organisateurs, « se réinvente tous les jours ». La féérie et la magie de Noël à portée de portefeuille. Quand certains préfèrent dormir la nuit, d’autres ont-ils de plus grandes ambitions ?
« La nuit, je deviens fou » (Salvatore Adamo)
L’activité nocturne émanait d’une galerie d’art contemporain située rue Haute – Colorfield Gallery, dont le siège social est basé Place des Vosges à Paris. C’est un peu comme si la ville lumière venait éclairer de tous ses feux les pauvres hères bruxellois. Malgré un succès tout relatif, l’équipe franco-belge (comme elle aime à se présenter) n’allait pas en rester là. Il fallait plus de nuits, plus de publicités, plus de clients et surtout une nouvelle association de commerçants, appelée B€ Marolles, dont la composition du Conseil d’administration a le mérite de la clarté : la Présidente, Stéphanie Domine, est la directrice de Colorfield Gallery ; la Secrétaire, Céline Cajot, est « Executive Manager Assistant » chez Colorfield Gallery ; tandis que la Trésorière, Alison Pinard, est employée de… Colordfield Gallery.
L’une des chevilles ouvrières de la galerie nie toute volonté de « guerre » entre commerçants, elle souhaite simplement « proposer des idées fraîches, porter un projet commun avec une nouvelle approche basée sur la communication et l’événementiel ». Le programme de B€ Marolles est d’avoir une communication « jeune et active », mais aussi des partenariats avec des services culturels des ambassades belges à l’étranger tout en créant une chaîne YouTube ou un compte Twitter. En résumé : il faut insuffler « renouveau et dynamisme » dans le quartier. Par ailleurs, il semblerait que la nouvelle association bénéficie du soutien financier d’élus locaux, et lancera prochainement une grande campagne publicitaire avec la Ville de Bruxelles sur écran géant. C’est jeune, c’est frais, c’est ambitieux.
Pour la modique somme de 200 € par an, les commerçants du quartier sont invités à rejoindre la nouvelle association pour s’unir (parce que n’oubliez jamais que l’union fait la force, ce sont les parigots qui vous le disent), réfléchir aux éclairages de Noël (à croire que c’est une obsession), pour proposer des brocantes (alors qu’il y a un marché aux puces tous les jours depuis 144 ans), toutes choses que font déjà une autre association de commerçants… Mais B€ Marolles veut surtout attirer de nouveaux clients et pas n’importe lesquels : s’ils travaillent pour l’Europe, si leurs professions sont libérales, s’ils viennent des beaux quartiers (de Bruxelles ou de l’étranger), c’est mieux.
« La nuit je mens » (Alain Bashung)
Ce 22 avril, B€ Marolles remet ça. L’affiche de la deuxième édition de La Nuit des Marolles présente une personne complètement emmitouflée dans une sorte de combinaison justaucorps en latex rose, tenant un gros œuf doré dans ses mains, à l’entrée de l’ascenseur qui relie le Palais de Justice aux Marolles. L’utilisation systématique de la couleur rose pour les affiches interroge et la communication jeune et active dont ces dames se revendiquent laisse pantois.
La présence de plus en plus fréquente de galeries d’art (si possible contemporain) dans le quartier est une des premières manifestations de la transformation de celui-ci. Ici, il ne s’agit pas de savoir si c’est de l’art ou pas, si c’est beau ou pas mais de se demander à qui s’adressent les galeristes ? La réponse est simple et revendiquée : aux gens qui peuvent se le permettre. En cherchant de nouveaux clients, en basant la communication sur l’événementiel, en souhaitant ajouter plus de concerts et plus de bruit lors de ces virées nocturnes, il s’agit de faire venir d’autres clients et moins de respecter les habitants qui doivent être gavés par ce brouhaha permanent.
• Aretha Rufas
Photo : Brezzabel