Les trouvailles du marché : La radio
Dans le cadre d’une recherche ayant trait au brol, l’anthropologue Virginie Milliot recueille des pensées, des récits, des souvenirs de personnes rencontrées au Vieux Mèt. Cette rubrique est constituée d’extraits de son carnet de notes.
« J’ai des trucs que je ne vends pas. Au fil du temps, j’ai commencé à aimer le design des radios et j’en ai fait une folie. Pour le moment, je les collectionne et j’ai de belles radios qui ont de la gueule des années 50, 60, elles ont un beau design. Et ces radios, je les mets sur une étagère, ça vaut n’importe quelle décoration, tu vois, c’est beau ça parle d’elle-même. Et cet engouement pour la radio… parce que la radio c’est aussi une époque.
Moi j’ai connu, c’est fou, parce qu’on devait transmettre… les années 70 ici à Bruxelles, pour une famille… Nos familles étaient “primo-arrivantes”. Donc c’est les premiers immigrés Marocains qui venaient ici à Bruxelles, on gardait le contact très proche avec ce qui se passait au bled, parce qu’on était frais, nos parents étaient frais. Nous, on est les premiers à être nés ici, nos parents sont venus très jeunes, le père de mon père, c’est lui qui a ramené tout le monde.
Mon père est venu très jeune, il est reparti reprendre ma mère qui était enceinte de moi, c’est une histoire magnifique, quoi ! Et il fallait garder le contact avec le bled, quoi. Et comment on le gardait ? On enregistrait une cassette de 60 minutes, recto-verso, et on parlait sur cette cassette, mais il fallait se rassembler, il fallait que tout le monde soit là autour de l’enregistreur et c’est le grand-père qui actionnait l’enregistrement et c’est lui qui donnait le ton. Donc il enregistrait, il passait le bonjour à toute la famille qui était au bled et au fur et à mesure, on devait nous aussi transmettre le bonjour : “voilà, moi c’est L., j’espère que vous allez bien et tout”, et cette cassette était envoyée, mais elle mettait du temps à arriver et quand elle arrivait après trois semaines, un mois, elle était écoutée et elle était réenregistrée de leurs dires, quoi. C’est passionnant ! Et nous on attendait des retours et quand on recevait la cassette, on se mettait encore autour de la table et c’est magnifique, ce sont des moments…! J’étais gamin et j’ai jamais vu ce truc-là, on dirait que plus on avance, plus on avance dans la destruction, l’imbécilité, dans la séparation, dans l’écartement des familles, on n’arrive plus à se familiariser et à se remettre autour d’une table, quoi, c’est fou ! »
– Les radios ça te fait penser à ça ?
« Ça me fait penser à ça, directement, l’enfance, le grand-père, qui n’est pas là, que Dieu ait ton âme, Inch’Allah. »
Ces entretiens ont été réalisés par Virginie Milliot avec des chineurs qui souhaitent rester anonymes. Les enregistrements peuvent être écoutés au fil de l’émission spéciale “histoires de brol” sur : https://www.radiopanik.org/emissions/emissions-speciales/festival-histoires-de-brol/