2018, année de la consternation

50 ans après Mai 68, la Ville de Bruxelles a lancé le thème de “la contestation” comme pilier de sa programmation culturelle pour 2018, mobilisant pour l’occasion ses partenaires institutionnels, centres d’art, lieux de spectacle, écoles supérieures… Nul besoin d’avoir lu et digéré “La société du spectacle” pour renifler d’avance l’air vicié de la récupération politique dans cette campagne culturelle.

Nuit Blanche, institution phare de l’événementiel dans l’espace public, en a fait le thème unique de son édition 2018 en installant ses quartiers dans les Marolles, dont l’histoire contestataire et le caractère rebelle restent présents dans les esprits. Le 6 octobre dernier, de nombreux lieux publics ont été investis, du Jeu de Balle à la chapelle des Brigittines, en passant par le centre culturel Bruegel et les écoles du quartier. Pourquoi pas, après tout, vouloir faire exister le temps d’une soirée, le spectacle dans les rues en intégrant ses habitants et acteurs culturels à la fête ?

Nuit Blanche se veut participative et dit vouloir développer “une lecture sensible de la Ville” où “l’humain reprend ses droits”. Mais ce que nous avons vu cette nuit-là, dans sa globalité, fut navrant. Le projet Komplex Kapharnaüm est une belle illustration du cynisme ambiant. La compagnie annonce une promenade dans la cité Hellemans, une des premières cités sociales de Belgique, à la rencontre de ses habitants. Des dizaines de personnes déambulent dans la cité en pleine nuit. Les habitants ne sont pas présents, sans doute sont-ils dans leur lit, mais le public peut les appréhender par le biais de témoignages sonores et des vidéos d’autochtones projetées sur les murs de la cité. Comment une compagnie française parachutée dans les Marolles peut-elle prétendre rencontrer les habitants et monter un projet qui les intègre de manière sincère en seulement 5 jours ? N’importe quel acteur culturel un tant soit peu consciencieux sait que cela n’est pas possible.

Autre exemple affligeant, la performance d’Ubay Martin sur la place du Jeu de Balle, mettant en scène une confrontation entre des manifestants masqués de foulards pour le caractère insurrectionnel et des policiers coiffés de casques de vélo noir pour représenter l’ordre, dans une scénographie faite de grilles, de barrières nadar et de pneus usagés. Le concept paraît séduisant puisqu’il évoque le sujet très sérieux et très actuel de la liberté bafouée des peuples de pouvoir s’exprimer librement dans les métropoles du monde entier et des violences policières qui s’ensuivent. Pour autant, le geste chorégraphique très pauvre et le caractère volontairement ludique de la performance (envoyez votre slogan par SMS, on le scandera en direct !) rappelle plutôt une partie de chat perché dans une cour de récréation.

Ce projet discrédite les luttes sociales passées et à venir et laisse un sentiment amer de dérive politique. On osait espérer un peu plus de bon sens, du moins de respect vis à vis de l’Histoire, des philosophes et des activistes qui ont menés ces luttes. Pour finir et pour ne pas être seulement dans la négative, on pourra évoquer certains spectacles, dont le geste fort de Ula Sickle qui nous fait sentir dans la performance “Relay” une belle gravité. Un drapeau noir qui flotte et qui claque dans la nuit et qui passe de mains en mains pour ne jamais tomber à terre.

• Renée

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