Le Fin Bec dans le plâtre
Mr Fonske interviewe Mr Patrick, tenancier du dernier bollewinkel de Bruxelles…
Je crois que j’ai découvert le Fin Bec en 2014, quand je suis arrivé en première primaire à l’école Baron Steens. J’ai trouvé que c’était une très belle confiserie, une vraie confiserie.
Si je me rappelle bien, le premier bonbon que j’y ai acheté c’était une sucette et une boule de mammouth énorme avec une chique dedans (ça dure des jours avant d’arriver à la chique). Maintenant j’achète tous mes bonbons là. J’y vais deux ou trois fois par semaine, en sortant de l’école. À l’école, tous les bonbons viennent du Fin Bec.
J’étais chez mes grands-parents, il y a un an et demi, quand ma grand-mère m’a appris la nouvelle : un camion-grue dévalant de la rue de l’Abricotier était rentré dans le magasin. J’étais triste. À l’école, on en a parlé pendant un cours de citoyenneté. Il y en avait qui étaient surtout tristes pour les bonbons, moi j’étais surtout triste pour monsieur Patrick. Il est sympa.
Je ne savais pas si ça allait rouvrir. Le container, c’était bien, mais je suis très content que ça rouvre maintenant au même endroit. C’est comme avant. Et j’aime bien la nouvelle enseigne.
Après l’accident, vous avez goûté les nouveaux bonbons ?
Oui, c’est des nouveaux bonbons. On a recommandé tout en neuf. Mais je ne goûte que certains, ceux que j’aime.
Combien ont coûté les travaux ?
Pour moi, rien. C’est les assurances qui ont payé les réparations.
Comment vous avez fait pour ne pas être blessé ?
Les réflexes ! J’ai sauté en arrière contre le mur.
Est-ce qu’il y avait des clients à ce moment-là ?
Hé bien non, justement. Une demi-heure avant, oui, mais au moment où le camion-grue a tout cassé, non. On a eu de la chance, parce que s’il y avait eu des gosses comme toi ou d’autres, je pense qu’il y aurait eu aussi des dégâts humains.
Est-ce que ça vous a choqué ?
Non, je n’ai pas eu le temps. C’est allé tellement vite que je n’ai pas vu arriver le camion. Quand je l’ai vu, il était déjà à l’intérieur. Donc, je n’ai pas eu le temps d’avoir peur. C’était un camion de 50 tonnes, il est entré juste là où tu te trouves. Il a percuté ma voiture qui était devant, il est rentré dans le magasin et avec l’effet du bras de la grue il est reparti en arrière.
Comment en êtes-vous arrivé à vous installer dans un container ?
L’hôpital Saint-Pierre m’a octroyé un emplacement et un container pendant la période de rénovation de ma maison, pour que je puisse faire acte de présence. C’est la directrice de l’hôpital qui m’a téléphoné et qui m’a fait la proposition. Ils se sentaient un peu responsables, puisque l’accident est arrivé dans le cadre des travaux de l’hôpital. C’était une manière d’un peu adoucir la douleur. J’y suis resté le temps des travaux, presqu’un an et demi. Mais c’était moins visible, j’avais moins de clients.
Il paraît qu’il y a déjà eu d’autres accidents avant…
Je crois bien qu’il y en a déjà eu deux par le passé, mais je n’étais pas né. Je pense qu’il y en a eu un avant la guerre, quand le magasin était encore un torréfacteur, chez Tom. Et sans doute un autre il y a une soixantaine d’années, quand un véhicule dont les freins avaient lâché avait lui aussi dévalé la rue de l’Abricotier et embouti la vitrine. (1)
Est-ce que vous avez peur que ça se reproduise ?
Heu… non. Sinon, on ne resterait pas là. Et puis, j’ai plusieurs vies, comme les chats !
Est-ce que c’est dur votre métier ?
Non. C’est une habitude. Je n’ai jamais fait d’autre métier, j’ai toujours fait ça. Avant, c’étaient mes grands-parents qui tenaient le magasin. Ils l’ont ouvert en 1948, ils tenaient un glacier ici et à côté c’était le bollewinkel. C’est passé directement de mes grands-parents à moi. Ça fait déjà 30 ans que je fais ça, hé oui !
Vous gagnez bien votre vie ?
Normalement. Ni beaucoup, ni pas beaucoup, normal quoi.
Vous ne vendez que des bonbons ?
Surtout, oui. Mais aussi des boissons, des chocolats, des glaces, des cartes de foot, des gadgets, un peu de matériel scolaire, du slime…
Est-ce que vous trouvez que les bonbons ont évolué ?
Ah oui. Ils sont de plus en plus excentriques. Il y a des choses un peu spéciales. Au niveau originalité, c’est sans fin.
Est-ce qu’il y en a qui sont interdits aux moins de tel âge ?
Non. Sauf pour les bébés, bien sûr. C’est à partir de 4-5 ans. En tout cas, si je les vends c’est qu’ils sont autorisés.
Vos clients, c’est qui ?
C’est une majorité d’enfants, mais aussi des vieux enfants. Comme dans tout, il y en a qui sont sympas, d’autres pas. Il y en a parfois qui viennent de loin, même de France. Je crois que le Fin Bec, c’est le dernier bollewinkel de Bruxelles.
Depuis 30 ans, comment est-ce que vous avez vu changer le quartier ?
Il y a du positif et du négatif. Pour le moment, ça rénove pas mal, c’est positif. Il y a eu une période de laisser-aller. Mais les magasins, c’est de plus en plus des antiquaires, des galeries d’art et des choses du genre, des magasins pour la clientèle du Sablon. C’est pas ça qui anime un quartier. Ce serait mieux si c’était un peu plus varié.
Une dernière question : est-ce que vous allez avoir des cartes Pokemon ?
Oui, je vais bientôt avoir les nouvelles !
• Mr Fonske
1) Selon nos informations, un de ces accidents s’est produit en 1954. C’est Jean Harlez, le réalisateur du « Chantier des gosses », un film tourné dans les Marolles avec des enfants du quartier, qui le raconte. Selon son récit, sa jeep était garée rue de l’Abricotier quand des gosses pour faire une blague en ont desserré le frein à main !
Moi c’était mon lieu de prédilection ? c’était pour la première fois en 1980