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Le commerce dans les Marolles au temps de la Covid-19, un biotope en danger

Après deux mois d’inactivité pour les commerces et trois pour les restaurants, la reprise est difficile. Si ce weekend du 13 & 14 juin l’ouverture de l’Horeca a ramené un peu de vie dans le quartier, le moral est loin d’être au beau fixe et si les expériences divergent d’une rue à l’autre, d’un commerce à l’autre, les peurs et les espoirs sont  relativement les mêmes. 

Chez Julie Menuge, Designer textile,  SuperMix Veritable, rue Blaes, 154.

“J’ai fermé quand le gouvernement a annoncé que les commerces devraient fermer les week-end.“

Julie prend très vite une décision, fermer le week-end alors que c’est justement là qu’elle travaille le plus avec la vie sociale dans les Marolles, le Vieux Marché, etc… Durant la semaine elle constate qu’il n’y a plus un chat dans les rues, ca ne servait à rien en fait de rester ouverte.

 “Je me souviens que le gouvernement a annoncé le lockdown total le 17 mars, j’ai eu super peur, je me suis fait des crises d’angoisse, j’avais pas tellement de cas autour de moi de gens malades, mais je me suis vraiment demandé à quelle sauce on allait être mangé•es, ce qui allait se passer vraiment, je me suis dit c’est un vrai truc pour paralyser toute activité et contrôler les populations.  J’ai donc été louer une voiture, que j’ai “bourrée comme un oeuf” de toutes mes affaires  de l’atelier-boutique, j’ai essayé  de prendre le max de choses utiles pour pouvoir travailler : toute ma collection, deux machines,  des matières premières….  Avec l’idée de faire une boutique en ligne et de travailler à la maison, sans vraiment savoir comment ca allait se passer. “

Julie se confine donc, comme tout le monde et sur les réseaux sociaux on ne parle que de masque, de fabrication de masque, de tuto de masque et très rapidement certaines personnes lui demandent d’en fabriquer

Julie va coudre donc plus de 200 masques , pour ses voisin•es et ami•es dont Lili  fait partie, qu’elle a vendu à prix libre et donnés très régulièrement.

Pendant ce temps là du côté de la rue des Renards…

A partir du samedi 14 mars, c’était imparable: tout devait fermer et pour Calaveras c’était particulièrement dommageable: « Nous avons travaillé des mois pour l’expo « Vendredi XIII ». Mathilde Payen était venue de Paris car elle devait animer un atelier de gravure le dimanche 15 mars. Après le vernissage du vendredi 13, on a dû fermer et tout annuler. » 

De temps en temps le bruit d’une vespa uber qui se gare devant le Darling’s Cupcakes vient troubler les minimes échanges de la clientèle du Renard bleu qui, après un mois et demi d’arrêt total, a proposé des plats à emporter.

Ainsi lorsque les sons du chantier du haut de la rue s’interrompent, on entend les oiseaux chanter. La rue des Renards sans ses commerces est toute en silence.

Pour des commerçant•es dont le magasin est ouvert respectivement depuis 31 ans comme Bijoux ou 23 ans pour Atchoum, c’est très déstabilisant.

Le loyer et les charges sont des postes onéreux pour les personnes qui ne sont pas propriétaires de leur local: « La ville a annulé le paiement des loyers d’avril et mai pour les locataires de ses magasins ». Nous confie Claude de Atchoum. Pour les autres, locataires du privé, ce n’est pas toujours simple de trouver un arrangement avec leur propriétaire. 

Pour pallier le manque de revenu, les entreprises ont reçu du Fédéral une aide unique de 4.000 €. Si cette somme a permis à certaines personnes « de garder la tête hors de l’eau », pour les restaurants: « Même si le personnel bénéficie du chômage technique, après 3 mois d’inactivité que représentent 4.000 € ? » s’inquiète la responsable du Restobière.

Les indépendant•es ont perçu un droit passerelle, une indemnité mensuelle de 1.291,69 € (1.614,10 € avec charge familiale) mais pourquoi le propriétaire du Vintage Design n’y a-t-il pas droit?

Mathieu & Simon, eux, n’ont droit à rien: « Infographistes autonomes, notre statut, c’est chômeurs, salariés de Smart(1). Nous sommes des artistes mais nous ne bénéficions pas du statut d’artiste. Ce statut permettant la constance de l’allocation de chômage est réservé à ceux qui sont payés au cachet ce qui est impossible dans notre travail. Notre statut est un statut bâtard ».

En allant rue de Nancy, au numéro 12 il y a l’atelier d’A chacun sa madeleine

Xavier et Alex avaient le statut d’indépendants avant le confinement. Leur entreprise a été doublement impactée par la crise du Corona. En effet travaillant dans le catering pour l’audiovisuel ou l’évènementiel A chacun sa madeleine dépend autant du secteur de l’horeca que du culturel. Contrats annulés ou reportés, ne pouvant pas rebondir tout de suite, faisant partie des deux secteurs les plus touchés par cette crise, ils ferment définitivement les portes de leur atelier « Ce sont des secteurs très difficiles depuis toujours’ raconte Xavier ‘on ne nous prend pas en compte d’un point de vue administratif, ce sont des cas particuliers et on ne peut pas nous mettre vraiment dans des cases. Si il y a une nouvelle vague je ne veux pas attendre, je préfère aller voir ailleurs. « 

Au bout de quelques semaines de confinement, Alex a pu bénéficier de son droit passerelle en tant qu’indépendant, ce n’est pas le cas pour Xavier qui a remis son numéro de TVA. Pas de chômage temporaire non plus, on les laisse depuis des semaines dans un flou administratif. .. Deux mois et demi plus tard ils attendent toujours.

« L’Etat ne se préoccupe pas de nous, on nous oblige à changer notre quotidien, on nous demande de nous ré inventer mais que veux-tu qu’on ré invente avec des contraintes absurdes !  » 

Une crainte et un espoir par rapport au déconfinement… 

Le 11 mai les commerces étaient prêts à accueillir les clients dans le respect des règles de sécurité imposées.

Chez Julie à la rue Haute « ma crainte c’est que les petits commerces n’aient pas pu résister à cette crise. La gentrification se fait sur le dos des petit•es, des personnes qui ont fabriqué le quartier. Mon espoir c’est que le Vieux Marché ré ouvre. ».

La rue des Renards est ensoleillée, un des frères Kaly répare un tapis en discutant avec quelques habitué•es, les commerçant•es semblent heureux•ses de se retrouver.

Mais de clientèle potentielle, il y en a peu.

Ticky Tacky: « On verra,  je veux rester optimiste mais vu la topologie du quartier, c’est une zone enclavée, les gens ne passent pas par là, ils viennent dans les Marolles qui fonctionnent avec le Vieux Marché, les restos, les bars et le tourisme; tu enlèves l’un ou l’autre de ces éléments et ça ne fonctionne plus. Je ne comprends vraiment pas pourquoi ils refusent d’ouvrir le Marché aux puces, les marchands sont des professionnel•les, on peut leur faire confiance ». 

Dominique Bijoux: « Si j’ouvre, c’est uniquement par solidarité avec mes voisins, sans le Vieux Marché, ça ne sert à rien. »

Mathieu et Simon pensent « Avant ce n’était pas toujours facile, après ce sera pire. Nos clients viennent du milieu culturel, théâtre, festival, cinéma. Quand et comment sortiront-ils de cette crise ? ». Certains restaurants sont pessimistes, vont-ils pouvoir tenir après 3 mois d’inactivité? Ticky Tacky: « J’ai envie d’écrire à la Régie Foncière pour savoir où ils en sont avec le 15. S’ils reviennent maintenant avec les travaux, pour nous, ce serait fichu ! »

Xavier d’A chacun sa madeleine « Ca aurait été bien que cette crise remette en question notre façon de vivre et de consommer et ma crainte c’est que les acteurs économiques reviennent en force et continuent le même chemin. Par rapport au quartier des Marolles, je crains que ca accélère la gentrification, qu’une fois de plus ce soient les plus démuni•es qui soient touché•es, les personnes qui tenaient jusqu’ici, plus ou moins, qu’elles finissent par vendre, à bon marché et que tous nos petits commerces disparaissent à la faveur de grosses enseignes.  Plus de fêtes de quartier, plus de rassemblements car c’est interdit, plus de vie sociale, tout ce qui fait la vie d’un quartier. Il faut résister ! »

Merci à tous et toutes d’avoir partagé avec nous dans ce moment compliqué. 

Et bonne route à Xavier et Alex.

Nicole et Lili

(1) Smart est une coopérative qui propose des conseils, des formations et des outils pour accompagner le développement de l’activité professionnelle des travailleurs autonomes.

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