Viva Margarida Guia !

Partout où elle passait, il se passait quelque chose ! Ancienne habitante des Marolles, Margarida Guia y a laissé des traces…

Franco-portugaise, Margarida Guia est née en 1972. Son parcours artistique a débuté en 2002 avec sa Bibliambule, une bibliothèque à roulettes qu’elle baladait à travers l’Europe, s’arrêtant ici ou là pour clamer à voix haute, accompagnée d’accessoires, poésie et littérature à l’attention de qui prenait le temps de l’écouter. Fin des années 2000, elle s’est installée à Bruxelles, rue Haute, à côté de la librairie de Jean-Pierre Rostenne avec qui elle se lia d’amitié. Pour gagner sa vie, elle vendait des bijoux dans la rue des Renards. 

Autodidacte, elle développa des univers artistiques bien à elle, au fil de performances, de créations sonores pour la radio, le théâtre et le cinéma, de collaborations avec des poètes comme Krzysztof Styczynski ou des musiciens comme Serge Teyssot-Gay… Elle devint aussi comédienne, musicienne et animatrice d’ateliers de chant. 

« Je suis là pour défoncer la porte »

La porte, Margarida l’a défoncée en mélangeant création et engagement social ; en explosant les frontières dans ses rencontres humaines… « Je chanterai tant que j’aurai quelque chose à chanter, à crier ». Sa voix pénétrante, provenant du fond d’elle-même, mélange de révolte et de ravissement, exprimait son indignation à travers ses récitatifs, ses mélopées et étayaient certains de ses paysages sonores. 

« Margarida était une personne extrêmement généreuse”, témoigne la musicienne Dominique Van Cappellen. “Peu de personnes savent qu’elle hébergeait quatre migrants en permanence dans son appartement minuscule. Elle avait embarqué le cinéaste Claude François pour leur donner des cours de Français. C’était très familial.” Jusqu’à ce petit matin où des policiers ont débarqué dans cet appartement de Saint-Gilles où elle avait déménagé, la plaquant au sol, la menottant et arrêtant ses hôtes. Traumatisée par cet épisode, elle ne se laissa pas démonter et déploya toute son énergie pour aider ceux-ci, accusés d’être des passeurs pour avoir eux-mêmes aidé d’autres migrants à quitter la Belgique. 

“C’était quelqu’un qui travaillait tout le temps, qui ne se reposait pas beaucoup. Elle avait une énergie incroyable, une colère aussi. Dommage qu’elle ne fût pas assez à l’écoute de ses besoins. Elle a fait énormément de choses pour les autres et elle s’est un peu oubliée. C’était une personne magnifique, elle a marqué beaucoup de vies de gens de milieux très différents.”

Puis, elle fut atteinte par la maladie. “À l’hôpital, elle était émerveillée parce que son médecin lui portait des fleurs de son jardin. Il y avait aussi une chanteuse lyrique qui travaillait aux soins palliatifs, qui est venue chanter pendant qu’on faisait les soins à Margarida. Elle était un peu dépassée par ce qui lui arrivait”, se rappelle Dominique Van Cappellen. “Elle avait installé un bureau avec son ordinateur prête à travailler sur un documentaire, mais malheureusement elle n’avait pas la force. Elle n’arrivait pas à se mettre au travail tellement chamboulée de se retrouver aux soins palliatifs. Son souhait était de mourir chez elle. Ils ont organisé ça, elle a pu passer une journée chez elle. Elle avait 48 ans. Elle avait encore tellement de choses à apporter ! » 

Retour au vivant

« Il faut situer la morte, le mort, c’est-à-dire lui ‘faire’ une place. Le ‘ici’ s’est vidé, il faut construire le ‘là’”, écrit Vinciane Despret dans son livre « Au bonheur des morts ». Le cinéma Nova a suivi ces paroles, en organisant une soirée d’hommage à Margarida en juin dernier, un an après sa disparition qui n’avait pas pu être célébrée à cause du Covid. Les nombreux participants à cet hommage ont pu partager l’audace créative de Margarida Guia à travers ses travaux poétiques, vocaux, sonores, musicaux ; voir son film : « J’appelais l’écho à mon retour » et d’autres dont elle a créé la bande sonore. Il y eut même une création de « Fleur de Feu » où ceux qui le souhaitaient eurent la possibilité de lui envoyer un message en brûlant une feuille de laurier sur laquelle ils lui communiquaient leur intention. 

Sa Bibliambule, elle, est désormais à Lisbonne où d’autres artistes et d’autres poètes déambulent avec elle, comme Margarida l’aurait souhaité.

Nicole & Gwen

Photo : Michel Léger
Photo d’en-tête : Régine Abadia