Contrat de Quartiern°14

Réhabilitation des logements inoccupés : on fait dans l’homéopathie

Dans notre article paru dans le Pavé n°13 « Produire du logement à vocation sociale ? Une occasion manquée », nous nous étonnions que la somme de 3 millions d’euros qui devait être consacrée par le Contrat de Quartier Marolles à la réhabilitation de logements inoccupés, n’avait finalement pas été utilisée par la Régie Foncière de la Ville de Bruxelles. Interview d’Arnold Czerwonogora, Ingénieur-Directeur Général (retraité) du CPAS de la Ville de Bruxelles, qui avait réussi en son temps de belles réhabilitations d’immeubles abandonnés. 

Dans notre article, nous exposions que la Régie Foncière se devait de rénover ces immeubles inoccupés, qui sont souvent fort endommagés et/ou situés sur des parcelles trop petites, rendant de telles opérations non rentables. Notre thèse étant que c’était à des pouvoirs publics d’entreprendre alors de tels travaux difficiles, en se substituant au secteur privé.

Arnold Czerwonogora : Dans ma vie professionnelle, j’ai été à partir de 1974 en charge de l’immobilier public et privé du CPAS. En matière de logement c’était un excellent terrain d’action mais aussi d’observation. La Région et les communes disent faire tout pour résoudre le problème. Oui, mais tout quoi ? Est-ce suffisant, ou adéquat ? Certes, la Région a déclaré vouloir garantir l’accès au logement à un coût raisonnable, par (notamment) la production de nouvelles unités de logement, la rénovation du bâti existant et sa réaffectation. La Région prévoyait aussi de revoir le droit de gestion publique, dans le cadre de la lutte contre les logements insalubres et inoccupés, par un mécanisme de mise en gestion forcée auprès d’une commune ou d’une AIS. Très bien, il était temps. Mais il subsiste de nombreux freins. Les prescriptions du Code du Logement, additionnées à celles du service de prévention des incendies (SIAMU) et à celles de l’urbanisme, complexifient et freinent rénovations et mises en conformité, et dissuadent bien des propriétaires. Sans compter que les missions et moyens de la Direction de l’Inspection Régionale du Logement (DIRL), en matière du respect des conditions d’hygiène, salubrité, sécurité, habitabilité y sont extrêmement détaillées, et qu’il reste in fine le problème du relogement des locataires à évacuer.

Les pouvoirs publics ont d’autres moyens légaux pour agir : la prise en gestion publique, l’expropriation, le droit de préemption…

À moins d’une volonté ferme et soutenue, la prise en gestion publique est impraticable. Ce mécanisme adopté par le parlement régional autorise les communes et les Agences Immobilières Sociales (AIS) à prendre temporairement en gestion – au besoin sans le consentement du propriétaire – des biens inoccupés depuis au moins douze mois, pour les louer à des personnes en difficulté, après rénovation éventuelle. Figurant déjà dans le Code du Logement en 2003, le gouvernement a dû en remanier le texte en 2022, ce qui a finalement permis la prise en gestion d’une maison à Woluwe-St-Pierre en octobre 2024 (la maison était déjà identifiée comme inoccupée en 2014) ! Il faut savoir qu’une étude ULB/VUB estime à 4.500 le nombre de logements insalubres et/ou inoccupés qui pourraient faire l’objet d’une telle procédure. C’est dire l’effort…

L’expropriation est un procédé lent et incertain. Le droit de préemption est plutôt platonique, et quant au plan Régional de Logement : lancé fin 2004, il avait l’ambition de construire en cinq ans, 5.000 nouveaux logements publics, sociaux et moyens, destinés à la location. Le Monitoring montre qu’en quatorze ans le Plan Logement a atteint 51% de son objectif : 2.553 logements ont été livrés ou sont en construction.

Il y a bien eu le Projet X, où vous étiez à la manœuvre. Ce projet expérimental additionnait audace, compétences, moyens, soutien politique…

Le projet X, lancé en 2004 par le CPAS dans le cadre du Contrat de Quartier Van Artevelde – Notre Dame au Rouge, visait tout à la fois l’assainissement de logements insalubres appartenant à des propriétaires privés, le relogement des locataires à des conditions adaptées, la formation aux métiers du bâtiment pour des personnes prises en charge par le CPAS, et bénéficiant ainsi d’un contrat de travail. Dès fin 2004, il menait 32 chantiers. En juillet 2006 on comptait déjà 42 logements rénovés, plus 22 chantiers en cours. Ces succès lui valurent d’être étendu aux Contrats de Quartier ultérieurs. Il reçut également des moyens importants de la part de « La Politique des Grandes Villes ». Sauf que cet apport s’assortissait de l’exigence par l’Inspection des Finances, d’autonomiser le Projet X par rapport au CPAS, donc aussi de changer son statut et son management. Fin 2006 ce fut fait, mais pour des raisons que je ne m’explique pas encore, les compétences techniques et administratives lui furent retirées. Après la nomination d’un nouveau manager, les choses ont été de mal en pis, jusqu’au fiasco final.

Il y a aussi les sociétés de logements sociaux.

Heureusement il y a le logement social, souvent des tours datant des années 1960-1970, qu’il eût fallu entretenir et rénover. Maintenant elles sont fréquemment vidées en vue d’une reconstruction, voire une reconstruction déguisée en rénovation. Ne pouvant atteindre le quota qu’elle s’est fixée, de 15 % de logements sociaux sur son territoire, la Région a mobilisé le patrimoine des communes et CPAS, mais en exigeant qu’ils appliquent des règlements d’attribution qui ne tiennent compte ni des revenus (!), ni de la domiciliation, ni de la proximité des écoles ou emplois de la famille. Etc.

Qu’en conclure ?

Si on fait le bilan, il y a tellement de temps consacré, de textes produits, d’actions inabouties, de réunions de comités, pour des résultats concrets tout-à-fait décevants, homéopathiques. Dans son article, Le Pavé cite l’absence de volonté politique, mais pourquoi cette absence, en particulier dans l’aile socialiste, héritière des combats au profit des plus défavorisées ? Est-ce parce que les moyens financiers pour agir n’existent pas à l’échelle de l’enjeu, parce que la Région est endettée ? Elle croit pourtant avoir les moyens d’une nouvelle ligne de métro ?! Les plus démunis continueront donc à habiter les logements les plus insalubres. Et on verra si, lorsqu’elle sera réellement confrontée au dérèglement du climat, la Région saura faire preuve de plus d’efficacité…

Patrick Wouters
[dessin : Frédérique Franke]