« Prolo » et « Prola » des Marolles
« Prolo », ainsi qu’il s’est nommé , c’est Armand Masse, peintre des Marolles (1925-2015). « Prola », ce sont les marolliens qui l’ont appelée ainsi, c’est Judith (Dita) Wiznitzer (1927-2013), l’amour de sa vie. Ils ont marqué pendant près de 40 ans l’histoire des Marolles.
C’est de Benoît, son petit-fils, que nous tenons des fragments de la vie du peintre « Prolo ». Armand Masse, qui deviendra Prolo, est né en France à Saint-Etienne, avec des attaches familiales en Haute Savoie. Il commence à travailler tôt, dans la mine, comme tourneur fraiseur. Sa femme travaille au foyer. Elle est rigoureuse et très attachée à l’éducation. Cela contraste avec la personnalité d’Armand, qui aime l’ambiance des bistrots, au risque d’y laisser sa paye, et dont la passion va vers le dessin. « Le dessin le fascine, l’envie de bouger le démange » nous dit Benoît. C’est ce désir de dessiner qui vaut la montée à Paris du couple. Armand fera de petits boulots, sa femme deviendra gardienne d’immeuble. Et puis Armand rencontrera Judith, son grand amour. Judith est née à Vienne en Autriche. C’est une érudite qui parle plusieurs langues. Juive non pratiquante, elle est une rescapée des rafles en Autriche. Elle va encourager Armand à devenir peintre et à gagner Bruxelles pour y trouver un milieu artistique plus stimulant. Tous deux vont vivre plusieurs dizaines d’années dans les Marolles, lui comme le peintre Prolo, tel qu’il se nommera, elle comme traductrice pour des entreprises pharmaceutiques. Pour les Marolliens, elle sera Prola.
Le « révolutionnaire en pantoufles » et la muse
Prolo est d’assez grande stature, élégant, avec un regard très intense. C’est un bon vivant, autant « grande gueule » qu’il est doux, « une énergie mais pas un militant » pour son petit-fils Benoît. Grand lecteur, il s’est construit une culture d’apparence hétéroclite. Mais ne nous méprenons pas : ses valeurs ne le portent pas vers n’importe quels auteurs. Parmi ceux qu’il chérit, on trouve Jacques Prévert, Louise Michel, Arthur Rimbaud, Louis Aragon, Georges Brassens. Il aime les réciter, les citer, les chanter. Pour lui, « les arts forment un tout », aucun n’étant plus noble que les autres. Et puis Prolo est un excentrique, toujours prêt à raconter de bonnes blagues (« Savez-vous quelle est l’origine du mot copain ? … Et celle du mot copine ?… ») ou à défendre des causes décalées, le boudin belge par exemple. Ses faits et gestes lui valent dans les années 1990 d’avoir un géant du quartier Bruegel1 à son effigie et même d’être chevalier de l’ordre du Ramon2 lors du sabbat des sorcières d’Ellezelles de 1987. Ce « révolutionnaire en pantoufles », comme il se qualifie, trouve un vrai soutien en Prola. Elle lui autorise sa folie, le guide au besoin, le supporte aux sens propre et figuré.
Le peintre et la poétesse
Sur la tombe du cimetière d’Evere, que Prolo et Prola partagent, on peut lire que Prolo est « Artiste peintre du Vieux Bruxelles » mais aussi « déclamateur de poésies dans les écoles défavorisées de Bruxelles ». Judith (Prola) était aussi poétesse. Leurs talents se sont conjugués dans l’ouvrage « Flâneries bruxelloises » » qu’elle a publié en 1990 et où ses « poèmes sans emphase » (Figure 1) sont illustrés par des dessins à la plume de Prolo des Marolles. Quant aux toiles de ce peintre, il n’est pas facile de les admirer. Peu après sa mort, Frédéric Solvel écrivait que « Ses tableaux étaient souvent directement achetés à peine l’huile sèche » et dispersés chez des particuliers. Si l’occasion se présente, osons demander à retourner le tableau. Sur l’envers, il n’est pas rare de trouver quelques mots de Prola (Figure 2).
Marolliens et Bruxellois pour toujours
Prolo n’existe pas sans Prola. Prola n’existe pas sans Prolo. Tous deux, aux personnalités bien différentes, ont façonné leur vie et leur œuvre dans et avec les Marolles. Il est encore des Marolliens qui s’en souviennent. L’un d’eux, qui a vécu rue du Temple, nous a dit sa gentillesse : « il parlait à tout le monde, était très gentil et il chantait « En sortant de l’école, nous avons rencontré…»» (un texte de Jacques Prévert datant de 1946). Un autre, alors enfant dans les Marolles, se souvient aussi de ce peintre très gentil, qui s’installait un peu partout dans le quartier, et « peignait les maisons d’avant ». C’est aussi ce qu’écrit Judith dans un de ses poèmes: “Les vieilles maisons, ses modèles”… Le duo inséparable qu’ils ont formé reste à jamais lié aux Marolles et à Bruxelles.
Denise Orange Ravachol
[Photo : Nicole Housiaux]- https://marolles.brussels/2020/10/01/la-famille-des-geants-du-quartier-bruegel-rue-haute-bruxelles/ ↩︎
- Un « ramon » est un balai de sorcière. Chaque année, à Ellezelles, village du pays des collines et haut lieu de la sorcellerie folklorique, la confrérie de l’ordre du ramon intronise et met à l’honneur un chevalier. https://www.sorcieres.eu/intronises.html ↩︎
FIGURE 1
Prolo des Marolles, peintre-conteur, extrait de Flâneries bruxelloises, poèmes sans emphase, Judith Masse, 1990, p.27
« L’atelier de Prolo, la rue
Avec sa foule et ses cohues
N’a d’autre toit que le ciel
Un éclairage naturel
Changeant au gré des nuages
Qui à toutes voiles voyagent
(…)
Les vieilles maisons, ses modèles
Patiemment prennent la pose
Jouant à peine de la prunelle
De leurs fenêtres ouvertes ou closes
FIGURE 2 : Un tableau de Prola, avec au dos un de ses poème (collection privée).

