Pourquoi la Fabrique d’Église Saints-Jean-et-Étienne-aux-Minimes ferme-t-elle la porte aux pauvres ?
Alors que la Fabrique d’Église-Saints-Jean-et-Etienne-aux-Minimes1 a reçu une offre du CPAS de la Ville de Bruxelles pour acquérir 5 immeubles situés rue de la Porte Rouge2, elle a préféré « pour quelques dollars de plus », signer un compromis de vente avec une société privée n’ayant aucune finalité sociale. Une pétition en ligne est publiée parallèlement à cet article afin de convaincre le Ministre-Président Rudi Vervoort de ne pas donner son accord pour la réalisation de cette vente qui va à l’encontre de l’intérêt général.
Les occupants de 5 immeubles situés à la rue de la Porte Rouge vont peut-être devoir quitter les lieux dans les mois à venir. Or il suffirait que la Région en décide autrement. En effet, les Fabriques d’Église sont des organismes sous la tutelle des pouvoirs publics. Elles ne peuvent pas vendre leur patrimoine immobilier comme bon leur semble3 . Pour que la transaction puisse se réaliser, les autorités de tutelle doivent donner leur accord. C’est d’abord le Bourgmestre, siégeant dans le conseil d’administration des Fabriques d’Église, qui doit valider les décisions prises par les 6 autres membres. Ensuite, c’est au tour de l’Évêque et du Ministre-Président de la Région de Bruxelles-Capitale d’accepter ou non la vente des biens des Fabriques d’Église. Concernant les immeubles de la Porte Rouge, la conseillère communale Céline Vivier (MR), remplaçant le Bourgmestre Philippe Close (PS), ainsi que le Cardinal Jozef de Kesel, ont bel et bien validé le compromis de vente. Il ne reste plus qu’une étape pour que cette vente soit réalisée : l’accord écrit du Ministre-Président Rudi Vervoort (PS).
L’Église, les pouvoirs publics et le Promoteur
Le patrimoine des Fabriques d’Église a été constitué grâce aux dons de biens mobiliers et immobiliers faits par les fidèles de leur vivant et après leur mort. Ainsi, il est légitime de considérer que ces biens soient administrés « dans un esprit de charité, de continuité, d’efficacité et de transparence4». Or, la vente des 5 immeubles de la rue de la Porte Rouge, située à deux minutes de marche du Sablon, interpelle tant au niveau du non suivi des procédures de vente que sur le plan des finalités sociales qu’un organisme œuvrant en principe dans l’intérêt des plus démunis est censé adopter.
Avant de signer le compromis qui est actuellement sur la table de la Région, la Fabrique d’Église des Minimes en avait rédigé un autre en décembre 2020 avec une autre société privée: Losane (SRL). Ce qui est surprenant, c’est de constater que ce premier compromis de vente ait été réalisé sans qu’aucune expertise de la valeur vénale des bâtiments n’ait été effectuée au préalable. Pourtant, la vente des 5 immeubles de la Porte Rouge a été conclue pour un peu moins d’un million d’euros. Un prix dérisoire vu les prix du marché acquisitif bruxellois actuel et la localisation fortement prisée.
Parmi les administrateurs de Losane, on peut notamment retrouver Carlos De Meester de Betzenbroeck. Ce dernier est connu à Bruxelles comme étant un spécialiste de la promotion et de la commercialisation de logements de luxe. Une grande partie des biens immobiliers qu’il a transformés à cet effet provient d’ailleurs de différentes structures religieuses telles que le pensionnat de la Vierge Fidèle à Schaerbeek, l’Église du Précieux Sang à Uccle, l’Église Saint-Hubert à Watermael-Boitsfort ou la Basilique de Chèvremont à Chaudfontaine.
Une Église pour les pauvres ?
Probablement interpellé par le Cardinal, la Fabrique d’Église des Minimes a dû se résoudre à faire une estimation de la valeur vénale des immeubles. En avril 2021, le Comité d’acquisition de la Région de Bruxelles-Capitale a ainsi évalué l’ensemble à 1,35 millions d’euros. L’Agence immobilière i-move Real Estate, quant à elle, s’est occupée de la vente des biens. En parcourant l’offre publiée sur son site, on peut lire qu’il s’agit d’« un ensemble de 5 maisons de type bruxellois, qui développe une superficie totale de 963m2 », situé « aux portes du Sablon, derrière le Palais de Justice ». L’ensemble serait apparemment « idéal pour investisseur, multi-logement, co-living5». Pour faire simple, le co-living est une sorte de colocation disposant de beaucoup de commodités et plutôt destinée à des personnes pouvant se permettre de payer un loyer bien plus élevé qu’une habitation partagée classique.
Après la publication de l’annonce par l’agence, deux candidats se sont manifestés: le Centre Public d’Action Sociale de la Ville de Bruxelles et un autre promoteur immobilier privé dont nous ne connaissons pas le nom. Suite à l’arrivée de nouveaux prétendant, la société Losane a fini par se rétractée. Du coté de l’institution publique, le CPAS avait pour projet de rénover les immeubles et d’en faire des logements de transit. Ce type de logement permet de reloger temporairement des personnes et des familles étant dans une situation de vulnérabilité (personnes sans-abri, victimes de violences familiales et conjugales, d’insalubrité, d’expulsion, d’incendie,…). Bien que le CPAS ait fait une offre de rachat très proche de celle faite par le promoteur, le conseil de la Fabrique d’Église des Minimes a préféré, « pour quelques dollars de plus », signer un compromis avec ce dernier. Nous ne savons pas exactement ce que le promoteur compte faire avec les logements en question mais il est plus que probable que les occupants actuels soient remplacés par une population bien plus aisée.
Pourtant, les Fabriques d’Église ont pour fonction de gérer les aspects matériels et financiers permettant l’exercice du culte de manière à ce que tous les biens ou le produit de ceux-ci soient utilisés pour les missions de l’Église. Parmi ces missions figure la protection des plus démunis. La charte de bonne gestion des biens de l’Église cite les paroles d’un des Pères de l’Église, Jean Chrysostome, reprises par le Pape François afin de guider les acteurs ecclésiastiques : « Ne pas faire participer les pauvres à leurs propres biens, c’est les voler et leur enlever la vie. Ce ne sont pas nos biens que nous détenons, mais les leur6».
Logements de luxe et co-living vs logements de transit
Nous avons déjà mis en avant dans un précédent article les paroles d’une ancienne échevine des Contrats de Quartier, Ans Persoons (sp.a) émises lors du lancement du Contrat de Quartier Marolles en juin 2017. Celle-ci évoquait qu’ « avec le quartier du Sablon le juxtaposant, le quartier des Marolles subit une pression immobilière et touristique grandissante menaçant son identité et son accessibilité ». En effet, comme beaucoup d’autres quartiers centraux et péricentraux, les Marolles sont constamment confrontés à des transformations urbaines pouvant mener à un remplacement progressif des habitants précaires par une population plus aisée.
Si le quartier a pu garder un côté partiellement populaire – qui constitue l’une des caractéristiques faisant sa réputation – c’est notamment grâce à un nombre plus important de logements sociaux (malheureusement souvent en mauvais état) qu’il n’y en a en moyenne dans la Capitale. A travers son Plan d’Urgence Logement 2020-2024, le Gouvernement bruxellois s’est engagé à lutter contre la crise du logement abordable qui frappe plus de la moitié des habitants de la Capitale. Il serait donc plus que cohérent que les pouvoirs publics ne donnent pas leur accord à cette vente et qu’ils soutiennent le rachat des maisons par le CPAS de Bruxelles. Ce faisant, ils augmenteront le nombre de logements de transit et donc le relogement de personnes en situation de vulnérabilité.
Un spectre hante les Marolles, celui du promoteur et de sa fidèle épouse la gentrification
Comme nous l’avons évoqué plus haut, le Ministre-Président Rudi Vervoort, en tant que pouvoir organisateur de la tutelle administrative sur le temporel des cultes, a le pouvoir de refuser la vente des 5 immeubles de la Rue de la Porte Rouge. En effet, les statuts des Fabriques d’Église prévoient que « Le Gouvernement de la Région de Bruxelles- Capitale peut, par un arrêté motivé, suspendre l’exécution de l’acte par lequel une Fabrique d’Église sort de ses attributions, viole la loi ou blesse l’intérêt général7». Les Marolles, comme d’autres quartiers populaires, sont hantés en permanence par les promoteurs immobiliers dont le seul objectif est le profit. Les autorités communales et régionales quant à elles veulent attirer des habitants aisés sur leur territoire afin d’alimenter les caisses fiscales. Ainsi promoteur privé et pouvoirs publics façonnent la ville main dans la main et ce au détriment des habitants précaires qui subissent la hausse des loyers.
La Fabrique d’Église des Minimes est l’organisme qui gère les aspects matériels et financiers de la paroisse Saints-Jean-et Etienne-aux-Minimes, où officiait jusqu’à sa mort en 2016, Jacques Van der Biest. Le fameux « curé des Marolles » qui s’est battu toute sa vie pour que les Marolles demeurent un quartier populaire. Nous espérons que ses paroles exprimées durant la « bataille des Marolles » en 1969 puissent continuer à nourrir nos réflexions et nos actions : « Nous devons faire attention à une espèce que vous ne connaissez peut-être pas encore, qui s’appelle le promoteur privé. Ça, c’est l’homme dangereux par excellence. Ce sont eux qui s’emparent de la ville ».
Andrzej
- Ci-dessous dans le texte « Fabrique d’Église des Minimes »
- Actuellement occupés par des locataires aux revenus modestes ainsi que par l’asbl Atelier des Droits Sociaux
- A moins que le montant de la vente soit inférieure à 200 000€
- La Conférence des évêques de Belgique, Charte de bonne gestion des biens d’Église en Belgique, 6 avril 2017.
- Site internet de l’agence immobilière I-MOVE Real Estate : www.imove.one/a-vendre/37, consulté le 19 mars 2022.
- Conférence des évêques de Belgique, charte de bonne gestion des biens d’Église en Belgique, 6 avril 2017, page 4
- Loi sur le temporel des cultes (Région Bruxelles-Capitale) du 4 mars 1870 Chapitre 2 bis section 1, art.17 bis, consultable sur : http://www.ejustice.just.fgov.be/cgi_loi/change_lg.pl?language=fr&la=F&cn=1870030431&table_name=loi