Les rues des Marolles : au nom des femmes

En 2017, en l’espace d’une nuit, les rues des Marolles se sont dotées d’un nom supplémentaire, qui plus est d’un nom de femme.  En quoi une telle initiative rencontre l’histoire des Marolles et nous fait réfléchir sur la place des femmes dans notre époque…

Le mercredi 8 novembre 2017, tard en soirée, je crois rêver en rentrant chez moi dans les Marolles. Les rues que j’emprunte ont un double nom : au nom qui nous est familier inscrit sur des plaques bleues, s’ajoute le nom d’une femme porté par des plaques violettes. Cela surprend : pourquoi cette initiative, combien de rues concerne-t-elle ? Qui est à l’origine de cette valorisation des femmes ? Mais aussi qui sont certaines de ces femmes inscrites sur ces plaques, sans aucun doute remarquables et que je ne connais pas ? Et que cela dit-il des noms de rue dans les Marolles et de la place qui y est laissée aux femmes ? 

Mon itinéraire du soir me fait emprunter la place Poelaert, la rue aux Laines, la rue de la Prévoyance, la rue Montserrat, la rue de l’Abricotier, la place du Jeu de Balle… rebaptisées rue Simone Veil, rue de Jongh, rue Mum Bett Freeman, rue Lozen, rue Henriette Dachsbeck, rue Henin-Clijsters (voir photo ci-contre)…  Je saurai plus tard que toutes les rues des Marolles, soit une petite soixantaine, ont reçu une plaque supplémentaire avec des noms de femmes, dont encore la rue Nafissatou Thiam, la rue Rosa Park, la rue de Beauvoir, la rue Malala Yousafzai, etc.

Cette initiative engagée et sa concrétisation éphémère dans les Marolles (les plaques violettes disparaitront en quelques jours) est le fait de la collective féministe Noms Peut-Être ! dont l’objectif est de mettre en avant des femmes d’ici et d’ailleurs, de dénoncer l’invisibilité des femmes dans les espaces publics et dans l’Histoire, de proposer des modèles inspirants à tous.tes. Voici comment l’exprime l’une des trois co-fondatrices de la collective sur le site Internet du journal « La DH » peu de temps après l’ajout des plaques dans les Marolles : « Avoir des rues plus égalitaires peut être vu comme un détail, mais compte réellement dans les changements de mentalité. On dit souvent que les villes sont construites pour les hommes. Ici, on aide les femmes à prendre leur place, pas physiquement mais symboliquement ». 

Une initiative pour renommer les rues au plus près de la combativité marollienne

La collective Noms Peut-Être ! est créée en 2017, parallèlement à une action lancée en France pour renommer les rues. Quelques personnes se demandent alors « qui voudrait faire la même chose à Bruxelles ? ». C’est le début de plusieurs actions effectuées de nuit, et à chaque fois associées à des prises de contact avec les autorités locales leur demandant un rendez-vous pour discuter des choix de noms de rue et proposer des solutions. Ces actions vont successivement concerner plusieurs quartiers ou lieux emblématiques de la capitale et de ses environs : les Marolles (2017), l’ULB (2018), Tour et Taxis (2018), la STIB (2019), Saint-Gilles (2019), Bruxelles-centre (2019), Schaerbeek (2019). 

On peut se demander pourquoi les Marolles viennent en premier : « Parce que les Marolles avaient cette histoire de quartier frondeur qui ne se laisse pas faire » nous dit la Collective. C’est faire honneur à la combativité « marollienne » de ses habitants, maintes fois exprimée dans l’histoire « pour défendre l’identité de leur cher quartier »(1). Pour la période récente, pensons en particulier au soulèvement populaire de 1969 contre un projet de démolition et d’expropriation dans une partie de la rue Montserrat et au fait qu’une plaque apposée dans cette même rue(2) entretient de manière très visible cette mémoire. 

L’identité des Marolles tient aussi profondément dans son sens de l’accueil et dans sa reconnaissance de la diversité des populations qui s’y sont succédé ou qui y habitent. Or si les noms de ses rues, qu’ils soient en français ou en flamand, témoignent de ses artisans (rue des Tanneurs, des Fleuristes, etc.), de ses marchands (rue de l’Hectolitre, de la Rasière, etc.), de l’histoire de la Senne (rue de Terre neuve), de personnalités notoires (rue Blaes, etc.), force est de constater que cette diversité pourrait prendre en compte davantage les femmes(3). Leur représentation dans le nom officiel des rues des Marolles est en effet discrète puisqu’on les trouve seulement en cinq occasions : l’allée Rosa Luxemburg (grande théoricienne et militante marxiste ; 1871-1919) ; la place Akarova (la danseuse et sculptrice belge Marguerite Acarin, 1904-1999) ; la rue Christine (l’archiduchesse Marie-Christine de Habsburg-Lorraine, 1742-1798) ; la rue Sainte-Thérèse ou Sint-Theresia straat (la religieuse carmélite Thérèse d’Avila, 1515-1582) ; le tunnel Stéphanie (la princesse Stéphanie de Belgique, 1864-1945). 

Certes on peut y ajouter des rues ou places portant le nom de congrégations religieuses de femmes qui se sont installées dès le 17ème siècle dans les Marolles, dans le but de soulager l’importante pauvreté du quartier : les Brigittines, les Visitandines… Et aussi le fait que la dénomination des Marolles fait référence à la congrégation féminine apostolique des Maricoles. Mais au final ce sont surtout des religieuses et des aristocrates… et bien peu de femmes qui disent notre époque ou la leur. 

Penser les rues avec des noms de femmes et d’hommes, d’ici et d’ailleurs

Questionner la présence et la diversité des femmes dans les noms des rues, au regard de celles des hommes, et réfléchir aux choix de noms qui pourraient être donnés à de nouveaux lieux, comme le fait la collective Noms Peut-Être !, oblige à s’intéresser au statut et à la représentation des femmes dans les quartiers, les institutions, la société. Avec cette focale on peut revenir à ce qui fait la vie des Marolles et retourner notamment aux articles que le  « Pavé » a consacrés aux femmes qui ont marqué ou marquent ce quartier par leurs engagements et leurs actions. Ainsi en est-il de Lieve Polet (Madame Potelet), militante pour le climat et l’environnement, qui s’occupa  du café-resto marollien L’eau chaude (« Pavé » n°10), des Mèrolutionnaires des Marolles, collectif d’habitantes qui œuvrent pour la cohésion sociale (« Pavé » n°9), de Marie-José Devroede, la stoppeuse-remailleuse de la rue Haute (« Pavé » n°6), de Huguette Van Dyck qui fut gérante/programmatrice/directrice du café-théâtre La Samaritaine (« Pavé » n°3), et de tant d’autres…

Denise Orange Ravachol

(1) D’Osta, J., 1995, Dictionnaire historique et anecdotique des rues de Bruxelles. Editions Le Livre.

(2) À l’angle de la rue de la Prévoyance, une plaque commémorative porte l’inscription suivante : « Bataille de la Marolle. 13-9-1969. Ci-gît le promoteur et sa fidèle épouse la bureaucratie. Concession à perpétuité. » 

(3) Pour mieux connaître la représentation des hommes et des femmes dans les rues de la région bruxelloise, on peut se reporter à la carte interactive du site EqualStreetNames.Brussels, créé par Open Knowledge Belgium et la collective Noms Peut-Être avec le soutien d’Equal.Brussels.

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Légende photo: Deux femmes qui ont marqué notre époque pour la rue de Terre – neuve

Crédit: https://nomspeutetre.wordpress.com/photos-fotos/