Les Marolles, petits bouts d’Histoire : Une rafle en 1942 et autres mémoires
Le 10 juin 1945, les Marolles enterrent définitivement Hitler (photo ci-dessus) ! “Le Soir” du jour titre : “Les funérailles du monstre !” Un cortège funéraire plein de zwanzeurs, aux allures d’exorcisme, met enfin en terre le dictateur.
Le 3 septembre de cette année-là, la Gestapo ferme la rue des Tanneurs avec des camions. À 20h30, ils ont bloqué toutes les issues. La rue est assiégée. Ils avancent porte par porte. Ils connaissent le nom des familles qu’ils recherchent. Un document bien fait, celui de l’AJB (1). Ils montent les escaliers, toquent aux portes des appartements. Les familles sont à table. Certaines réussissent à cacher les enfants. Ils entrent. 15 minutes pour plier bagage. Ils attendent en bas. Ils emmènent tout le monde dans les camions. Train. Endstation. Chambre à gaz. Directement.
Aujourd’hui, le vent a soufflé sur la place du Jeu de Balle. Chaque jour, mille caisses en carton sont fouillées par les habitants du quartier. Parmi ces femmes et ces hommes, qui ont chacun leurs histoires de voyages et d’immigration, certains des enfants qui s’étaient cachés ce soir-là ont des souvenirs à nous raconter.
“Été 42” – le documentaire radio et les “soirées de récits”.
Richard Kalisz est allé à leur rencontre, micro à la main. Ils ont raconté cette journée-là à travers les petits objets qu’il leur reste de leur famille. Les seuls qu’ils ont pu emporter, qui sont restés là, qui n’ont pas été cassés ou que des voisins ont pu protéger : un chapeau, des verres à vin, une petite boîte…
Grâce à ces témoignages, il a pu réaliser un documentaire radiophonique en 8 épisodes, intitulé “Été 42 – Rafle dans les Marolles” et organiser un évènement homonyme à l’espace Magh, centre culturel du Maghreb et de Méditerranée, dans les “basses Marolles”, où il invita les témoins de ce documentaire à venir partager leur histoire sur scène, accompagnés de comédiens et récitants tels que Sam Touzani, Nathalie Rjewsky et Emmanuel Texeraud à qui avaient été confiés les témoignages de ceux qui ne pouvaient être présents, du journaliste Joost Loncin et de Daniel Weyssow, membre de la fondation Auschwitz, des musiciens et chanteurs André Reinitz, Moâne Sahli Redouan, Lola Bonfanti et certains soirs, des enfants de l’école Charles Buls venus chanter en yiddish sur le plateau accompagnés de leur institutrice Graziella Didonato qui raconta que l’école avait sauvé des enfants des rafles et des recrutements, en les cachant dans le bâtiment scolaire.
Ainsi, durant ces six soirées qui réunirent toutes les communautés du quartier, les récits prenaient vie sous l’oreille attentive d’un public qui (re)découvrait la réalité quotidienne et les “petits” détails poignants que vivaient les gens pendant ce pan de l’histoire dont on nous parle habituellement en termes historiques, tel un événement depuis longtemps rangé dans les livres ou dans les associations de commémoration.
Rafle dans les Marolles – le livre et la balade sonore.
En 2003, Joost Loncin, journaliste et ancien étudiant des Marolles, publie un livre sur le sujet, Rafle dans les Marolles chez Versant Sud, où il reconstitue l’histoire de quatre enfants qui ont pu échapper à la rafle du 3 septembre. C’est après la demande que lui avait faite Jacky Borzykowski de reconstituer une période de sa vie, juste après la rafle, restée comme un trou noir dans sa mémoire que Joost Loncin s’était lancé dans ce travail de recherche qui a non seulement servi l’histoire du quartier en général mais qui a surtout pu “rendre” sa mémoire à Jacky, en retrouvant les traces de son passé, les trois autres enfants avec qui il avait été protégé dans une même famille à Bruges et le nom de cette famille.
Julien Poidevin, en collaboration avec Richard Kalisz, a revisité le documentaire radiophonique “Été 42”, pour organiser une balade sonore à travers les rues marolliennes, à l’occasion de la Nuit Blanche 2018.
De la rue des Tanneurs à la Kristallnacht.
Récemment, il y eut aussi l’inauguration de la Place des 3 septembre (2) et du Square Herschel Grynszpan, tous deux au bout de la rue des Tanneurs, côté Brigittines. Herschel, jeune immigré juif polonais qui avait dû fuir l’Allemagne, arrive rue des Tanneurs, fin de l’été 1936 pour y vivre et travailler dans la fabrique de souliers de l’un de ses oncles. Le 3 novembre 1937, alors qu’il est à Paris, il apprend que son père et sa mère (qui, eux, n’avaient pas pu quitter l’Allemagne) ont été envoyés vers le camp polonais de Zbaszyn et lit dans le journal allemand yiddish “Pariser Haint” que “plus de 8000 personnes sont devenues du jour au lendemain des apatrides, ont été raflées et déportées dans le no man’s land germano-polonais, principalement à Zbaszyn. Les conditions de détention sont particulièrement pénibles et déprimantes. 1200 d’entre eux tombent malades et plusieurs centaines restent sans abri.” Le lundi 7 novembre 1938 au matin, il écrit un mot d’adieu à ses parents avant de se diriger vers l’ambassade d’Allemagne pour dénoncer le sort qui était réservé aux Juifs allemands. Une fois dans le bureau, après avoir fait croire qu’il amenait un document important, il tire cinq coups sur le diplomate allemand Ernst vom Rath et ne fuit pas.
Cet assassinat fut un des rares actes de rébellion ( hors Résistance ) et on comprend pourquoi : Ernst vom Rath mourut des suites de ses blessures deux jours plus tard, le 9 novembre, alors que les dirigeants du parti nazi étaient justement rassemblés à Munich. Ils décidèrent d’utiliser son décès comme l’occasion idéale pour déclencher des “représailles” sur tout le territoire du Reich : la nuit même, deux cents synagogues et lieux de cultes furent détruits, sept mille cinq cents commerces saccagés, une centaine de personnes tuées, des centaines d’autres décédées des suites de leurs blessures et 30.000 à 35.000 personnes déportées.
Comme on le sait, cette nuit de cristal était le prélude à tout le reste, suivie de changements législatifs privant les populations visées de moyens de subsistance, d’accès aux professions libérales etc… Aujourd’hui, en Allemagne, cette triste date est commémorée chaque année avec comme leitmotiv : Kristallnacht – plus jamais ça.
La rue des Radis, Q.G. du marché noir. À l’avant-droite, la façade d’un café : celle de La Plume Blanche, où l’on sauvait des vies en délivrant des faux-papiers ? (Source : “Les Marolles, 800 ans de lutte du Comité d’Action des Marolles”, 1988)
Sur les cendres, les pavés.
Vous avez remarqué les petits pavés dorés qui se posent dans nos rues et partout dans le monde ? Mémoires. Mémoires troublantes d’une histoire difficile à regarder en face. Chaque petit pavé des Marolles est le fruit du travail de quatre à cinq personnes seulement, simples citoyens, dont Monsieur Zalane, un des descendants des habitants de la rue des Tanneurs et apparenté de loin à Herschel Grynszpan, qui participe activement au travail de recherche et de mémoire qui concerne nos rues à ce sujet.
La pose de ces petits pavés, sont autant de traces importantes pour rendre un nom à ceux qu’on a voulu faire disparaître, leur offrant comme sépulture l’endroit où ils vécurent et de par la jolie déclinaison de leurs noms aux consonances diverses, nous rappellent que les Marolles ont toujours été un lieu habité de voyageurs et d’immigrés, accueillant différents peuples selon les vagues de l’histoire.
Aujourd’hui, 80 ans plus tard, les langues continuent de se délier. Profitons-en, rien ne vaut la parole directe, transmise sans aucun autre intermédiaire, loin des écrits et des livres d’Histoire.
Et dès que le récit commence, soudain, le temps qui est passé depuis n’existe plus. On se rend compte à quel point l’onde de choc est toujours palpable, parfois même intacte parmi les êtres qui forment notre société et les larmes, encore présentes – il faut le dire sans détours. Et oui, 80 ans plus tard, cachée derrière des rideaux et derrière des fenêtres, cachée à l’intérieur des murs et des rues qui forment les Marolles, Bruxelles, l’Europe et le Monde, la deuxième guerre mondiale “vit” toujours.
Mais alors, combien de temps faut-il pour que se pansent les marques d’une guerre ? Une guerre. Celle-là. Ou toute autre. Combien de temps ?
Commémorer la shoah (catastrophe, en hébreux) et le porajmos (génocide Tzigane de cette même période) c’est aussi se rappeler qu’il faut effacer les frontières qui se dressent entre nous, humains de tous bords. Et si cette guerre-là est devenue le triste symbole d’une organisation minutieuse et parfaitement assassine poussée à son extrême, elle est une guerre. C’est-à-dire qu’elle est le fruit d’une division organisée. Quand on veut asseoir son pouvoir, rien de plus simple que de diviser les humains selon leur appartenances diverses et de les envoyer, simples corps de chair et d’os, tuer et se faire tuer au nom d’une “patrie”, persuadés que leur ennemi est face à eux, alors qu’il est celui-là même à qui ils obéissent.
Aujourd’hui, encore… dans la même ville.
Il y avait une rafle en 1942. Depuis il y en eut d’autres. Et aujourd’hui, encore. Dans la même ville. À quelques rues d’ici. Chaque fois, la cible change de visage. Une fois tel peuple. Une fois un autre. “Aujourd’hui, c’est toi… demain, ce sera un autre… après-demain, peut-être moi…” Ah oui ? Mais alors, quand quitterons-nous cette ronde infernale ? Quand arrêterons-nous de nous abattre les uns les autres ? Quand déciderons-nous de ne plus frapper de douleur la chair humaine et d’enfin, désobéir ?
• Lola
(1) : A.J.B. : Association des juifs de Belgique. Organisme créé par l’occupant nazi afin de rassembler les personnes visées dans une institution obligatoire et “déguisée”. Pour en savoir plus: “Les curateurs du ghetto” de Jean-Philippe Schreiber et Rudi Van Doorslaer aux éditions Labor, 2004. Ce travail de recherche, se basant principalement sur l’étude des archives de l’AJB, permet de comprendre les rouages de l’instrument perfide qui fut mis en place par l’occupant dans son entreprise de persécution.
(2) : Place des 3 Septembre : Le 3 septembre 1942, rafles des Marolles, uniquement les nationalités étrangères (la reine avait encore pu obtenir la protection des Belges). Le 3 septembre 1943, rafles des Belges. Et enfin, le 3 septembre 1944, la libération de Bruxelles.
Bel article, sauf que comparer les rafles, la Shoah avec les problèmes des migrants n’ est pas correct et abusif.
Les migrants ne sont pas menacés de génocide ( massacre de tout un peuple )
Magnifique travail de mémoire
Bien a vous