ArticlesEclairagesn°14

Le Groupe Logement Querelle en quête d’eau chaude et de respect

Septembre 2023. Après 10 mois de coupures, les habitant·es des appartements d’une tour de logement social de la « Querelle » dans le quartier des Marolles ont enfin accès à l’eau chaude. Une victoire pour les habitant·es qui ont vécu dans des conditions de vie difficiles pendant près d’un an. Une victoire qui ne devrait pas en être une tant l’accès à l’eau chaude constitue un besoin de base pour les locataires. Qui ont pourtant dû s’unir et se mobiliser pour faire valoir ce droit et être entendus par le Logement Bruxellois (LB), propriétaire du logement. Retour sur cette mobilisation des locataires.

Novembre 2022. Le froid s’installe doucement sur Bruxelles. Dans une tour de la Querelle, un logement social du quartier des Marolles, certain·es habitant·es ont la mauvaise surprise en se levant le matin pour aller travailler de n’avoir qu’une douche froide au réveil. Les coupures sont alors intermittentes et ne touchent pas encore tout le bloc. Mais petit à petit, et malgré les interpellations des habitant·es, les 93 appartements de la tour seront concernés par l’absence d’eau chaude. Avec le soutien de travailleurs associatifs du quartier, les locataires décident de s’organiser pour faire valoir leurs droits face au bailleur, le LB. Entre réalité budgétaire et choix politiques jamais en faveur des locataires sociaux, cette histoire raconte aussi le quotidien de beaucoup de locataires de logements sociaux à Bruxelles.

Le Logement Bruxellois, un propriétaire pas comme les autres ?Cette société immobilière de service public gère plus de 4000 logements sociaux sur le territoire de la Ville de Bruxelles. Elle a pour mission de « mettre en location des logements adaptés aux besoins et aux revenus d’une population n’ayant que peu d’accès au marché locatif privé ». Elle déclarait dans son rapport d’activités 2023 : « maintenir nos logements en bon état, les rénover et les isoler pour augmenter le confort de vie des habitants et la performance énergétique de nos bâtiments constitue le cœur de nos missions techniques. » La manière dont ils ont géré cette crise montre une tout autre réalité.

Comment se faire entendre ?

Dès les premières coupures d’eau, plusieurs locataires contactent le service technique du LB pour les informer du problème et obtenir des solutions. Sans succès. Ils avertissent alors des travailleurs sociaux travaillant sur cette zone et progressivement, grâce à du porte-à-porte, un petit groupe de locataires se constitue. En mars 2023, ils forment le « Groupe Logement Querelle ». L’initiative vise à se mobiliser collectivement pour s’adresser au LB. Le groupe affirme que les prises de contact individuelles avec le LB ne sont généralement pas suivies d’actions rapides, ou restent sans réponse.  De plus, un grand nombre de locataires sont démunis concernant la manière de contacter le bailleur. Souvent les habitants et habitantes ne peuvent écrire des mails et communiquent alors par téléphone avec le service technique, ne laissant aucune trace écrite relative aux échanges et ne disposent donc d’aucune preuve. Un locataire témoigne: « Moi au début j’ai appelé le service technique, ils ont dit qu’il y avait une panne et qu’ils devaient réparer. Moi je me suis dit que quand on dit « on va réparer » c’est on va réparer dans une semaine ou un mois, pas 10 mois ! ». Le groupe partage la vision que si toutes les forces individuelles s’assemblent, ils auront plus de poids face au bailleur pour se faire entendre et obtenir réparation et compensation. Un groupe WhatsApp est créé afin de pouvoir communiquer en dehors des réunions.

Pour avoir du poids et formuler une demande claire et documentée, le groupe se relance dans un long porte-à-porte afin d’établir un diagnostic précis des problèmes d’eau chaude dans le bâtiment, à communiquer au LB. La démarche prend des semaines, mais le groupe finalise cet état des lieux. Le 30 mai 2023, le LB envoie un courrier aux 93 logements du bâtiment attestant la panne. Il indique avoir été prévenu en date du 21 avril 2023. Le courrier explique les difficultés à trouver l’origine de la panne d’eau chaude et demande aux locataires de bien vouloir être patients.

Patience et détartrage

 « Moi je pars au boulot, je me lève à 5h et j’ai besoin de me laver le matin. Être sans eau chaude c’est pas facile… Je devais me réveiller à 4h45 pour chauffer de l’eau. La première fois j’ai mis dans la bouilloire mais ce n’était pas assez, après je mettais de l’eau dans la casserole et je chauffais. C’était dur mais c’était comme ça, pendant un long moment. Je l’ai fait car je n’avais pas le choix. », témoigne un habitant.

 Fin juin, le diagnostic tombe enfin : la panne d’eau chaude serait liée à un entartrage massif des canalisations. Une intervention de détartrage est donc prévue, mais n’a pas lieu. Trois jours plus tard, les locataires sont informés par courrier de son annulation due à la toxicité et dangerosité du produit destiné à être utilisé. En fin de courrier, le LB promet une compensation financière avec effet rétroactif à partir du mois de mai 2023. Le montant de cette indemnité compensatoire n’est pas communiqué.

 Le 21 août 2023, un nouveau détartrage est prévu et a bien lieu. Il est effectué par la firme « AXO » à l’aide de produits toxiques dangereux pour la santé. Les locataires sont donc informés par courrier de la nécessité d’effectuer une opération de rinçage chez eux une fois l’opération terminée. Cette intervention marque le retour de l’eau chaude dans les appartements au début du mois de septembre. 

Une victoire mitigée pour le Groupe Logement Querelle. Si les habitant·es ont enfin accès à l’eau chaude après 10 mois pour certains, le groupe reste préoccupé par plusieurs aspects dans la gestion du problème par le LB. Le groupe est notamment inquiet concernant la bonne compréhension de tou·tes les habitant·es concernant le rinçage nécessaire après le détartrage (une partie des habitant·es maîtrisant mal le français écrit). Il s’interroge aussi sur les petits aménagements réalisés par le LB dans ces logements qui nécessiteraient plutôt une rénovation d’ampleur. Il comprend les difficultés que cela peut représenter pour le LB qui a un budget limité dédié aux rénovations, mais, du côté des habitant·es : « on n’en peut rien nous, on est dans nos droits, on paye le loyer, toutes les factures…», partage un membre du Groupe. Enfin, les habitant.e.s sont toujours sans nouvelles de la compensation financière promise par leur bailleur.

 La lutte continue

 Le Groupe Logement Querelle contacte donc les services « social», « contentieux» et « maintenance» afin d’avoir des informations sur les modalités, la date et le montant des indemnités promises début juillet 2023. Il se crée une adresse mail qui lui permet de communiquer directement en tant que collectif avec le bailleur. Il souhaite aussi avoir accès au rapport sur la panne afin de comprendre les raisons exactes de la privation d’eau chaude ainsi que les moyens mis en œuvre pour la solutionner. L’objectif est de comprendre mais aussi de s’assurer que ce qui a été mis en place n’est pas une solution « au rabais » et permet de se prémunir de futurs problèmes identiques. Sans réponse, le collectif finit par s’adresser directement au directeur général du LB, Lionel Godrie et obtient un rendez-vous.

 La rencontre a lieu le 22 novembre 2023 dans un local de la Querelle. Sont présents Monsieur Godrie, le directeur du service technique et 26 locataires. Les membres du Groupe Logement Querelle attendent ce moment avec impatience et se disent prêts à obtenir des réponses à leurs questions ainsi que des actes en accord avec les engagements pris. Ils se sont préparés au rendez-vous et se sont accordés sur une demande d’indemnité qui soit la même pour tous les ménages, indépendamment de la taille de celui-ci. La rencontre leur permet d’exprimer les difficultés éprouvées pendant ces longs mois sans eau chaude et les locataires obtiennent que l’indemnité soit calculée par mois. Ils obtiennent également du LB que la période de privation d’eau chaude soit bien considérée de janvier à septembre 2023. Les locataires ont apprécié le fait que le directeur se déplace en personne pour venir les rencontrer mais certains évoquent aussi un manque de considération : « Lors de la réunion avec le LB, j’ai ressenti comme s’ils ne voyaient pas la gravité de la situation que nous avions vécue. Comme s’ils prenaient ça à la légère. Je ne sais pas si c’est la politique ou quoi mais je me suis dit qu’il serait mieux qu’ils se retrouvent dans notre situation pour pouvoir comprendre ce qu’on est en train de vivre comme calvaire »

Le groupe continue à se réunir

Pour cet habitant de l’immeuble, malgré la somme dérisoire que le LB leur a accordée comme compensation, cette histoire reste une victoire. Parce que l’important est peut-être ailleurs : « Le groupe a créé plus de liens entre nous. Avec certains on se voyait mais on ne se disait même pas bonjour, puis on s’est vu à la réunion et maintenant on se dit bonjour. Il ne faut pas non plus qu’on se retrouve que quand il y a des problèmes. Ça me fait du bien, je me sens moins seule dans mon bâtiment et c’est bien pour le sentiment de communauté ». Malgré la dure réalité quotidienne des personnes qui habitent ces logements dans ces quartiers, on peut percevoir à travers leurs témoignages la force et l’optimisme dont ils font preuve. Malheureusement ces personnes n’ont pas le choix. D’aucuns, à la limite de la malhonnêteté diront qu’ils profitent déjà d’un logement à moindre coût et qu’ils peuvent s’estimer heureux. Mais, les bénéficiaires d’un logement social sont-ils des citoyens de seconde zone ? N’est-ce pas la responsabilité d’un bailleur de prendre ses dispositions pour éviter qu’un entartrage des canalisations ne se produise ? Et, s’il se produit, de régler le problème rapidement ? Est-il normal de laisser un locataire sans eau chaude pendant 10 mois et de lui donner ensuite à peine 200€ pour avoir la paix ? Nous sommes ici, de toute évidence, dans une situation d’abus de la part d’une administration publique, abus qui malheureusement constitue le quotidien de ces personnes. Le fait qu’elles s’organisent est assurément une bonne chose et un prérequis pour faire valoir leurs droits.

 Le Groupe Logement Querelle continue aujourd’hui de se réunir tous les mois pour discuter des problèmes du logement et travailler sur certaines questions plus spécifiques. A la suite de cette lutte, d’autres initiatives de mobilisations de locataires sociaux ont vu le jour dans les Marolles. Ainsi, un petit groupe s’est constitué dans la rue de l’Hectolitre à la suite d’une panne de chaudière ainsi qu’un autre situé rue de Terre-Neuve concernant des nuisibles. Ces problématiques ne sont pas propres à ces bâtiments mais constituent bien trop souvent le quotidien de nombre de locataires de logements sociaux. L’objectif ici n’est pas seulement de dénoncer les agissements des SISP, dont les moyens humains et financiers ne sont jamais à hauteur des nécessités rencontrées par les locataires. Les décideurs politiques ne semblent en effet jamais faire des logements sociaux, malgré la crise du logement, une priorité et les SISP sont en conséquence les laissés pour compte des gouvernements successifs. L’important est d’ainsi comprendre que chaque locataire de logement social est tôt ou tard confronté à ce type de désagréments dont les causes sont structurelles. Plutôt que de multiplier les différents groupes, il serait intéressant d’unir les forces et de faire front commun pour défendre les droits des locataires sociaux. Dans cette perspective, il pourrait être intéressant de lier les initiatives marolliennes avec d’autres. À titre d’exemple, à Molenbeek s’est constitué l’Union des Locataires de Logements Sociaux (ULSS) qui ont réalisé un documentaire disponible sur Youtube afin de visibiliser leur lutte. À Laeken et ailleurs également, différentes forces se mobilisent et il reste à espérer qu’elles se rencontrent et s’unissent pour enfin espérer améliorer les conditions de vie dans les logements sociaux bruxellois.

Jean-Nicolas Kalitventzeff
[dessin : Denis Glauden]