Le Grand Jojo, vrai Marollien?
Depuis 2003, et tous les deux ans, le Grand Jojo était la tête d’affiche du Bal National organisé place du Jeu de Balle. Son énergie, sa présence scénique, sa zwanze étaient unanimement saluées par les 15 000 participants. « Je suis né dans la rue d’en face » cria-t-il à l’adresse de la foule à l’occasion de l’un de ces concerts. Mais quels sont les véritables liens qui unissent le quartier à celui qui aimait se revendiquer Marollien ? Pour vous, le Pavé dans les Marolles a chargé trois envoyés spéciaux d’enquêter.
Le 8 décembre 2021, dans la grande basilique de Koekelberg se déroulent les funérailles de Jules Jean Vanobbergen. Un alléluia est repris par la salle, ce jour-là pleine, sur l’air de Viva Mexico. L’hommage est remarquable, sinon unique. La Belgique, endeuillée, pleure le Grand Jojo, décédé une semaine plus tôt. M. Thierry de Coster, maître de cérémonie du Bal National, témoigne aux journalistes de Sud Info :
« Le Grand Jojo rassemblait tout le monde : le petit gars de la rue, le prince ou le roi. (…) Quand il n’était pas là, une année sur deux, on se demandait quand il reviendrait. (…) Sans le Covid, on aurait fait la farandole dans la basilique. (…) C’était une icône mais c’était aussi notre copain. Bruxelles a une âme particulière. C’est un des plus beaux ambassadeurs qui nous quitte. You are the champion ».
Froidchapelle, Bourvil et Annie Cordy
C’est quelques mois plus tard que nous nous rendons à Froidchapelle, province du Hainaut, non loin des lacs de l’Eau d’Heure. Bien loin de Bruxelles et des Marolles. C’est pourtant là que nous mène notre enquête. C’est en effet dans ce charmant village que M. Cyril Forthomme, trentenaire débonnaire, enseignant à plein temps et créateur du musée Bourvil/Grand Jojo nous accueille en ce dimanche ensoleillé de mars pour une visite guidée.
Nous entrons dans le musée par le garage de notre hôte. En entrant, nous découvrons, déposé sur un support prévu à cet effet, à la droite de la machine à laver de M. Forthomme, le livre d’or. C’est coincé entre les signatures de nos illustres prédécesseurs et un poster d’Annie Cordy dédicacé, que M. Forthomme nous explique la genèse du musée.
Fan de Bourvil depuis ses 7 ans, il a recueilli méthodiquement les reliques de son acteur préféré. Il ne pouvait pas laisser une telle collection à sa discrétion et décida d’ouvrir un musée afin d’en faire bénéficier tout un chacun. Le musée ouvre ses portes durant l’été 2019 au-dessus du garage de l’ancienne maison de ses grands-parents, qu’il occupe aujourd’hui.
Mais l’acteur n’est pas la seule passion de M. Forthomme. Lors d’un concert donné près de Froidchapelle par le Grand Jojo, il se découvre une nouvelle égérie au son mélodique de Royal Youplaboum et Victor le footballiste. Chanceux, il peut à la fin de l’événement toucher deux mots à son idole. Il osa, timidement mais plein d’espérance, l’inviter à visiter, ce qui était alors l’accomplissement de sa vie, son musée à la gloire de Bourvil. Le chanteur lui promit de passer voir sa collection. Promesse tenue quelques mois plus tard. Mais celui-ci avait une idée derrière la tête : s’immortaliser en ayant son propre musée. M. Forthomme et Jojo étaient faits pour se rencontrer.
« Je suis très fier, je crois que je suis l’un des seuls à avoir un musée de son vivant » dira l’artiste lors de l’inauguration du musée le 24 août 2019 au micro des journalistes de Télésambre. Il faut dire que la collection est riche. Le Grand Jojo a fourni à son archiviste officiel des pièces uniques pour enrichir les fonds muséaux : albums de photos familiales, collection de soldats de plomb, accessoires de scène… « Tu as été une des plus belles rencontres de ma vie, ce musée, j’en suis fier, c’est vraiment l’apothéose de ma carrière » confiera Jojo quelques semaines avant sa mort à M. Forthomme.
Un lieu de naissance controversé…
Le musée est constitué de deux pièces attenantes au garage de la demeure familiale. La première aborde sa jeunesse et la genèse de sa vie d’artiste. Nous y voyons Lange Jojo, encore nourrisson, s’ébattre sur sa peau de mouton ou le menu de sa cérémonie de communion. Nous apprenons également que son grand père de arrive de Hal pour travailler à la jonction Nord-Midi et s’établit rue des Tanneurs avec femme et enfants. « C’est un endroit extraordinaire, ce sont mes racines » dira le Grand Jojo au micro de la RTBF à propos du quartier des Marolles. Benjamin d’une fratrie de 8 enfants, Pierre, qui deviendra le père de Jojo, quittera le Quartier pour s’installer à Koekelberg afin d’y fonder une famille avec Louise, sténo-dactylo chez Michelin. Le 6 juillet 1936, Jojo naîtra à la maternité d’Ixelles, et non pas dans les Marolles…
Après une scolarité chez les Frères des écoles chrétiennes à Molenbeek, rue des Quatre Vents puis des études de décorateur publicitaire à l’Ecole de dessin de Molenbeek, il devient représentant pour une firme de juke-box. En constatant le manque de musique d’ambiance dans les juke-box distribués, le Grand Jojo prend les choses en main en proposant ses propres compositions. S’en suivront une carrière haute en couleur, avec notamment un premier tube : Tango du Congo.
Nous n’éviterons d’ailleurs pas la question qui fâche. Nous interrogeons M. Forthomme quant au contenu problématique de certaines chansons, comme les paroles du Tango du Congo : « J’suis amoureux d’une congolaise / C’est une belle noire / Et elle s’appelle Thérèse / Et sa mère est Madame Caca / Dans un snack-bar / Au Katanga ». M. Forthomme nous prétexte une autre époque, et nous invite à comparer cette chanson à l’album Tintin au Congo, pourtant largement dénoncé pour sa vision raciste et colonialiste de l’Afrique. Et d’ailleurs, nous dira-t-il, Jojo lui avait confié que c’était la chanson que les fans croisés en rue lui demandaient le plus régulièrement d’interpréter. Un plébiscite populaire pour justifier une chanson xénophobe.
Pourim et hymne de la frite
La deuxième salle du musée est quant à elle consacrée aux décorations, récompenses, correspondances, reconnaissances du chanteur. Pêle-mêle et sans être exhaustif : disques d’or et de platine, des salles de concert pleines, auteur-interprète des hymnes officiels des Diables Rouges mais aussi celui de l’hymne 2015 de la frite, fait chevalier de l’Ordre de Léopold en 1998, nommé bruxellois de l’année en 2007 par Charles Picqué, médaillé de l’Ordre des Amis de Manneken Pis en 2013, fait citoyen d’honneur de la ville de Bruxelles par Yvan Mayeur en 2015… Nous ne pouvons que constater que malgré les honneurs, Jojo restait accessible et proche de ses fans que ce soit pour une séance de dédicace au Carrefour de Bomerée ou pour célébrer un pourim à la synagogue de Beth Hillel.
Mais la véritable consécration la voici peut-être : être fait Marollien d’honneur le 30 octobre 2016, dans la salle Marollia, à l’occasion de la sortie de son nouvel album, Tout va bien, et d’une biographie du même nom.
« Être nommé Marollien d’honneur après avoir été fait citoyen d’honneur de la Ville de Bruxelles. C’est la cerise sur le gâteau et j’en suis très honoré. Mon cœur et mes racines sont dans ce quartier. Les Marolles font partie de notre savoureux folklore bruxellois qui doit être conservé » expliquera Jojo aux journalistes de Sud Info.
Sur cette dernière découverte marquant la fin de la visite du mausolée, nous restons sur notre faim tant il nous semble difficile d’accorder à Jojo une certification marolienne. Nous quittons M. Forthomme, néanmoins satisfaits d’avoir rendu, par notre pèlerinage, un ultime hommage à un grand homme, au moins par sa taille. Fredonnant encore Chef, un p’tit verre on a soif et Jules César, nous revenons dans les Marolles où l’ombre de Lange Jojo hantera encore longtemps les soirées (trop) arrosées de ses cafés préférés.
Carmelita, Popeye et Sergent Flagada
[Photos et archives de Cyril Forthomme]