“La Samaritaine” n’est plus, vive “La Samaritaine” !
Si les feux du café-théâtre La Samaritaine se sont éteints, les yeux de sa gérante/programmatrice/directrice, Huguette Van Dyck, gardent quant à eux l’étincelle de la vie, d’une vie consacrée aux artistes. Après 32 ans dédiés à la gestion de ce lieu hors norme, Huguette a tiré sa révérence mais ne se tait pas pour autant…
C’est dans son nouvel appartement, à Ixelles, qu’Huguette m’accueille. Elle vient de déménager… Elle a vécu pendant 23 ans à Schaerbeek, mais la fin de l’aventure du café-théâtre dont elle s’est occupé pendant 32 ans l’a obligée à quitter son domicile, ne pouvant plus le payer avec la petite pension qu’elle reçoit à présent. Comme dit la chanson, non, rien de rien, elle ne regrette rien, ni les choix qu’elle a faits, ni l’argent qu’elle a perdu, parce que pendant toutes ces années à la tête de “La Sama”, elle faisait ce qu’elle aimait et ça, ça n’a pas de prix !
Quand on n’a pas de métier, on peut en faire beaucoup !
Huguette voit le jour avant la guerre (“La deuxième” dit-elle en souriant) à Vorst, en Flandres, d’un père originaire de Malines et d’une mère de Charleroi. Nous sommes en 1939. Elle est la dernière d’une famille de sept enfants qui quitte sa maison pendant la guerre, alors que le canal Albert est bombardé. Le père s’en va travailler en Allemagne, les enfants sont hébergés dans un pensionnat à Yvoir, près de Namur. Après la guerre, la famille se recompose et vit quelques années à Braine-l’Alleud.
Huguette a 17 ans quand ils débarquent à Bruxelles. Elle enchaîne les petits boulots, et commence à apprécier les sorties culturelles et la chanson française. La vie la mènera ensuite en Suisse, à Saint-Tropez puis à Paris, avant de revenir à Bruxelles où elle devient responsable du vestiaire d’un club ixellois. Elle y rencontre Marcel Kreush, patron du restaurant gastronomique La Villa Lorraine, avec qui elle vivra pendant 14 ans. “Rester à la maison et me faire entretenir, c’était pas mon truc”, alors Huguette ouvre un traiteur, Le Grand Cerf (dans la rue du même nom), dont l’atelier de préparation était situé au n°22 rue de La Samaritaine.
Fin 1984 (Huguette a 45 ans), un certain Van Uytven l’informe qu’il y a des frigos dans la cave du cabaret Poechenelle (au n°16 de la même rue), fermé depuis deux ans, et qu’elle peut les utiliser. “Je suis descendue dans cette cave du 15e siècle, ça sentait un peu le moisi et je n’ai pas du tout eu envie d’y mettre mes bons plats. Par contre, c’est en la voyant que je me suis dit : je veux ouvrir un café-théâtre ! Marcel venait de mourir, j’étais vraiment au plus bas du plus bas et là, de voir cette cave, ça m’a donné un coup de fouet ! On a signé les papiers en mars et j’ai ouvert en mai 1985 après de très gros travaux.”
Des débuts chaotiques…
“La première chanson qui m’a vraiment marquée, j’avais 14 ans, c’était Félix Leclerc ‘Le petit bonheur’… J’avais ça en moi depuis longtemps, ce que je n’avais pas préparé c’était la manière dont fonctionnait un café-théâtre.”
Le lieu s’appelle d’abord “L’enfance de l’art” (en référence à “La tête de l’art” à Paris), mais comme c’était aussi le nom d’un restaurant situé près du Palais de Justice, il a fallu changer de nom et prendre tout simplement celui de la rue. Au début, Huguette propose de la restauration gastronomique, ce qui implique beaucoup de personnel : “c’était une connerie de proposer ça, ce n’est pas le même public, après 6 mois j’avais un trou de 6 millions de francs. J’aurais commencé avec la formule actuelle, où je travaille toute seule, pour préparer les petits en-cas, gérer le bar et m’occuper de la programmation — parce que je veux bien travailler 13 heures par jour mais pas pour m’emmerder, hé bien si j’avais commencé comme ça, je n’aurais pas perdu les maisons que j’avais reçues de Marcel. Quand mon comptable m’a dit que je devais arrêter, j’ai dit non, j’ai vendu ma première maison et j’ai comblé le déficit. Puis j’en ai vendu une deuxième pour relancer l’affaire… Ce n’est pas un regret, c’est une constatation. J’ai appris le métier sur le tas, comme tous ceux que j’ai faits, mais c’est le métier que je préfère de tous”.
Huguette a lancé un nombre incalculable d’artistes, devenus pour certains très connus. Elle estime avoir fait peu de mauvais choix : “c’est arrivé quelques fois, j’étais très gênée et je souhaitais qu’il n’y ait pas grand monde…”
La fin du bail, un projet de rénovation…
Le bail devait se terminer en 2021. Huguette s’apprêtait doucement à prendre sa retraite et à trouver quelqu’un pour reprendre le café-théâtre. Mais la réalité urbanistique en a décidé autrement : Mr Van Uytven a revendu ses maisons, le nouveau propriétaire a voulu les rénover et a choisi l’option d’un projet de démolition-reconstruction (lire notre article).
“Les gens de la rue et du Comité social de La Samaritaine ne sont pas d’accord avec le nouveau projet et je comprends leurs réticences.” Huguette a entretenu des liens étroits avec cette association : chaque soir, elle a expliqué au public l’investissement de bénévoles dans la préparation quotidienne d’une cinquantaine de repas pour les gens du quartier, qui pouvaient ainsi recevoir un plat chaud (pour le prix de 1,50€ et d’1€ pour les enfants). Elle demandait aux spectateurs de participer en laissant de l’argent dans une bouteille placée sur le bar afin que le restaurant social puisse exister car c’est aussi un lieu de rencontre et de convivialité. Et le message est plutôt bien passé : entre 2012 et 2017, 33.713€ ont été versés à l’association !
Huguette en veut principalement à l’ancien propriétaire (avec qui elle a été en procès pendant presque autant de temps que le café-théâtre a existé !) qui, selon elle, a laissé pourrir les bâtiments. Elle se demande pourquoi les autorités n’ont jamais réagi. “Maintenant, étant donné que le permis de construire a été refusé, je ne vois pas les travaux commencer avant 2 ou 3 ans et d’ici-là ce ne sera plus ‘La Samaritaine’. Selon moi, le café-théâtre en tant que tel et à cet endroit n’existe plus. Christian Labeau, qui a beaucoup joué chez moi et qui est encore l’actuel président de l’ASBL aimerait en faire quelque chose…” Quant au projet, elle espère que celui qui sera représenté respectera l’avis concernant le patrimoine tout comme l’esprit du quartier, “et ce n’est pas parce qu’on gardera éventuellement le café-théâtre La Samaritaine qu’on doit tout accepter non plus.”
La cave de la rue de la Samaritaine a fermé le 15 juillet 2017. La saison s’est terminée au petit Théâtre de la Toison d’Or et Huguette se donne encore quelques mois pour archiver, trier, ranger, et après ce sera terminé. Je lui souhaite de tourner la page avec la belle énergie qui l’a accompagnée pendant toutes ces années.
• Aretha Rufas
(Photo : Vincen Beeckman)
les marolles ont prèsque disparus
Bonjour,
Je suis membre de l’association du Quartier Léopold qui est tout particulièrement engagée sur des problématiques patrimoniales notamment pour ses vertus projectives vis-à-vis de la spéculation immobilière autour du parlement européen. Comme cela est apparu dans l’affaire de la ‘Samaritaine’ le binôme patrimoine-spéculation est en oeuvre dans les Marolles aussi et cela nous intéresse beaucoup.
Par ailleurs, je suis architecte et j’ai un peu conseillé Isabelle Marchal en ce qui concerne les traces archéologiques, du moins ce que j’ai pu déceler à partir des plans. En comparant ces plans avec des cartes anciennes j’ai pu en déduire que les Maisons concernées par le projet sont peut être même en partie celles d’origine au moment de l’urbanisation de la rue.
Est-il encore possible de visiter les lieux afin de pouvoir les analyser ‘de visu’ et pouvoir éventuellement confirmer ce que les plans peuvent raconter? Comme d’habitude, les caves sont les parties les plus précieuses car nécessairement les plus anciennes, la présence d’un puits intrigue tout particulièrement.