Jef Bourgeois, le Prince des Marolles
Peut-être que lors d’une promenade rue Haute, si vous avez un peu levé le nez à hauteur du n°205, avez-vous aperçu un médaillon sur la façade ? Mais que savez-vous du savoureux personnage qui est ainsi représenté ? Jef Bourgeois, Prince des Marolles, peintre et sculpteur, joua un rôle crucial dans le musée des marionnettes de Toone dont il fut le président et le conservateur
Né le 26 octobre 1896, rue de la Philanthropie, il n’avait donc que quelques pas à faire pour se retrouver dans l’impasse des Liserons (aujourd’hui disparue et qui se situait aux environs du 369 rue Haute près de la porte de Hal), où l’on pouvait trouver le poechenellekelder de Toone. Très certainement un clin d’œil du destin pour celui qui passera une grande partie de sa vie à la défense de ce patrimoine bruxellois. Jef, un homme sage qui disait : « Dans les Marolles, quartier populaire où tout le monde se connaît mais sous un sobriquet propre à chacun. On y vit de petits riens, mais on y vit heureux… »
Jef Bourgeois, pour gagner sa vie, travaillait chez le sculpteur-joaillier Wolfers et peignait quelques toiles afin de d’améliorer un peu l’ordinaire. Et que peignait-il principalement ? Les marionnettes de Toone et des scènes de son quartier des Marolles, pardi ! Il suffit d’ailleurs de voir le nom de quelques-unes de ses œuvres pour comprendre où il trouvait son inspiration… En vrac, « Scène du Vieux Marché », « Joueur d’accordéon », « Homme à la flûte », « Le Buveur », « Assoupissement », « Homme ivre », etc… En 1962, il a par ailleurs été le 1er lauréat du premier concours de peinture moderne du Sablon avec une toile intitulée « L’Atelier de Toone ».
Début des années 1930, au programme des marionnettes on ne trouvait que des pièces de capes et d’épées. Ce sera grâce à l’influence de Jef Bourgeois, qui buvait régulièrement son verre dans les caberdouches des Marolles avec son ami l’auteur Michel de Ghelderode, que « La Passion » sera jouée par les marionnettes de Toone IV une fois par an le jour du vendredi saint.
En 1931, Toone V décide de vendre toutes ses marionnettes et c’est Jef qui, avec l’aide de son patron, décide de racheter les poupées pour les sauver de la dispersion… Toone V récupère les marionnettes, donne quelques représentations et revend cette fois-ci le tout à des brocanteurs. Jef décide alors d’alerter l’opinion publique et fonde avec son patron Marcel Wolfers et Richard Dupierreux (critique d’art au journal « Le Soir ») l’association des « Amis de la Marionnettes ». C’est sans relâche que Jef Bourgeois se mit à chiner sur les marchés et les brocantes afin de racheter petit à petit les éléments du théâtre de Toone. En 1932 on voit même Jef tenir la corde du rideau du théâtre ! En 1937, il remet à Toone VI tout le matériel qu’il avait réussi à sauvegarder afin que puissent revivre les poupées de bois.
Et en 1963 c’est encore lui, qui insistera, avec l’appui de Toone IV, Jean-Baptiste Hembauf pour que José Géal reprenne le flambeau et, alors que le Théâtre était poussé hors des Marolles par la spéculation immobilière, c’est encore lui qui écumera les rues de Bruxelles en compagnie de Toone VII afin de trouver un nouveau toit pour abriter ses chères marionnettes. Je suis d’ailleurs convaincue que malgré toutes les médailles et les honneurs que Jef collectionnait, le titre dont il était le plus fier était celui de Président-Conservateur du Musée des Marionnettes de Toone.
Les plus anciens se souviendront peut-être de lui, de sa silhouette à la Tati, toujours affublé de son chapeau, de sa pipe, et le nœud papillon pour les grands jours, à arpenter les allées du Met (Vieux marché) à la recherche de pièces pour ses nombreuses collections qu’il entassait dans son appartement, véritable bric-à-brac digne d’un inventaire à la Prévert… Des étains, des pièces en cuivre, ses tableaux et ceux de ses amis, des sculptures, des moulages, des assiettes, des pots, des pinceaux, des objets insolites… à chaque fois que je pénétrais dans son antre, j’avais l’impression de pénétrer dans la caverne d’Ali-Baba, et je me tenais sagement bien raide sur une chaise de peur que le moindre mouvement provoque une avalanche d’objets sur ma tête.
J’ai par ailleurs retrouvé dans ses archives un tract électoral annoté de sa main qui clamait :
• Voter Jef Bourgeois, c’est voter pour soi !
• Pour moins de taxes
• Pour un salaire décent
• Pour une pension convenable
• Pour plus de loisirs
• Pour le Musée de Toone
Avec Jef, entreront à l’Hôtel de Ville : les artistes, les amateurs de belles choses et du bon folklore de Bruxelles.
J’ignore en quelle année il s’est présenté aux élections et sous quel drapeau, mais il semble selon ce document qu’il avait obtenu un poste de conseiller suppléant.
Disparu en mars 1996, qu’aurait-il pensé de ce qu’est devenu le quartier aujourd’hui ? Qu’aurait-il pensé de ces politiques qui « adooooorent » notre quartier et tiennent à tout prix à faire en sorte que les Marolles soient valorisées ? Lui, amoureux de SON quartier, lui qui a cherché à le défendre jusqu’à son dernier souffle !!!
Pour mieux connaître l’histoire des Toone
Dans la petite histoire de la Dynastie des Marionnettes Marolliennes, il y a eu 9 Toone et 7 couronnes.
• Toone I de 1830 à 1890 : Antoine Genty dit Toone l’Ancien
• Toone II de 1848 à 1895 : François Taelemans dit Jan van de Marmit
• Toone III (attention ça se corse, il y en avait deux !!!)
• De 1852 à 1926 : Jan Schoonenburg dit Jan de Krol qui se suicida en 1926 au milieu de ses marionnettes…
• De 1866 à 1898 : Georges Hembauf dit Toone de Locrel.
• Toone IV (rebelote il y en a de nouveau deux)
• De 1879 à 1956 : Antoine Taelmans fils de Toone II
• De 1884 à 1966 : Jean-Baptiste Hembauf dit Janke et fils de Toone III
• Toone V de 1888 à 1938 : Daniel Van Landewijck
• Toone VI de 1892 à 1974 : Pierre Welleman dit Pée Paaip
• Toone VII de 1963 à 2000 : José Géal
• Toone VIII depuis 2000 : Nicolas Géal
Et ne parlons pas des lieux où officièrent les différents Toone ! De quoi faire une belle promenade dans le quartier en passant par la rue des Vers (rue Pieremans), rue Christine, rue des Sabots ou Holleblokkestroet (devenue rue de Wynants), rue de la Plume, impasse des Liserons, puis on déménage du côté de l’impasse de Locrel ou Lokerengang (attenante à la rue de la Rasière), dans l’impasse Sainte-Thérèse (à hauteur du 6-8 rue Pieremans), on retourne rue Christine au n°5, impasse de Varsovie (Polakkegang) où le théâtre de marionnettes de Toone faillit disparaître à jamais puisque c’est là que tomba le fameux V1 en novembre 1944 mais aussi dont le dernier habitant n’était autre que Jef Bourgeois qui y avait reconstitué son atelier, de là on file rue Notre-Dame-de-Grâce où c’est, cette fois, l’urbanisation qui chasse le Théâtre de Toone vers le Lievekenshoek à la place de la Chapelle (immeuble remplacé aujourd’hui par l’horreur qui abrite le Bon Repos). Quand on vous dit que Toone est intimement lié à nos Marolles !
C’est Jef Bourgeois qui a finalement déniché, en 1966, l’endroit où se niche actuellement le Théâtre de Toone dans l’Ilot sacré…
• Helena Van Den Neste
NB: Cet article a été écrit au départ pour le journal du PIM… comme beaucoup de personnes se plaignent de ne pas l’avoir lu, voici une nouvelle mouture…