n°13Reportage

Incendie de l’Hôtel Galia : Tragédie à tous les étages.

Le 28 novembre dernier, un incendie embrasait l’ancien Hôtel Galia, 15 place du Jeu de Balle. Ce soir-là, la centaine de personnes qui y vivaient sont restés sur le carreau, sans solution de relogement. Les flammes sont-elles les seules responsables? Retracer l’histoire récente du bâtiment et de son occupation, c’est comprendre une partie de ce que traversent aujourd’hui à Bruxelles les personnes confrontées à la crise du logement. Récit en plusieurs actes.

Ouvert depuis 1992, l’hôtel Galia a dû se réinventer durant le confinement, débuté en mars 2020, face au tarissement des flux touristiques. Les gérants de l’hôtel, soutenus financièrement par la Région bruxelloise et en collaboration avec une association de soutien aux réfugiés, décident de transformer leur établissement pour y loger des personnes sans-papiers. Nicolas Jansen, propriétaire du Galia, expliquait alors à l’équipe du Pavé son souhait de pérenniser la vocation sociale de son établissement : « La porte est ouverte. Elle le restera même après le confinement, car après, ce sera aussi tragique, des gens seront encore à la rue ».

1er acte : Occupations

Fin décembre 2021, l’immeuble est vendu à la Régie foncière régionale (RF). Le souhait des anciens gérants de voir celui-ci continuer à accueillir des personnes précarisées est exaucé. La Région projette d’y ouvrir un centre d’accueil pour personnes victimes de violences intrafamiliales. En attendant les travaux de rénovation prévus fin 2023, la RF envisage de signer une convention d’occupation temporaire. 

Invoquées par les pouvoirs publics comme solutions temporaires aux crises sanitaires et sociales, les conventions encadrent, dans l’attente de prochains travaux, l’usage de bâtiments qui ne sont pas aux normes d’habitation fixées par le droit du bail. Elles permettent de mobiliser les espaces non utilisés existants. De plus en plus employées par les autorités publiques, les conventions d’occupation permettent d’une part aux occupants de se loger de manière provisoire et d’autre part au propriétaire d’éviter, du fait d’une inoccupation potentielle, la dégradation trop rapide du bien tout en régularisant leur occupation. 

Dans ce cadre, deux conventions seront signées successivement avec des associations chargées d’assurer un encadrement aux futurs occupants entre juillet 2022 et juillet 2023. Avec la Jeunesse Organisée et Combative (JOC) dans un premier temps puis avec Belgian Kitchen dans un second. Les deux occupations viseront à loger tour à tour deux groupes de personnes sans-papiers. Au cours de cette période, les deux associations doivent déployer une énergie importante pour répondre aux exigences de la RF et appliquer un contrôle strict sur les activités qui s’y déroulent ainsi que les allées et venues dans le bâtiment. Un travail important a notamment été entamé successivement par les deux structures signataires des conventions, avec plus ou moins de succès, pour tisser des liens avec le quartier et apaiser des tensions potentiellement naissantes avec la cinquantaine d’occupants du bâtiment. 

La deuxième occupation prend néanmoins fin en juin 2023, les occupants ayant trouvé, par l’intermédiaire de la région, un autre bâtiment à Forest. Parallèlement, le 2 juin, la RF introduit une demande de permis d’urbanisme pour le bâtiment, désormais vide, visant à transformer l’établissement hôtelier en 16 logements.

2ème acte : Squat

Si les serrures sont changées et des cadenas posés sur les portes, les entrées de l’établissement ne sont pas pour autant totalement sécurisées. Profitant de l’opportunité, de nouveaux protagonistes entrent en jeu. Leur modèle économique est simple : ouvrir le bâtiment et faire payer l’entrée aux futurs occupants, incapables sinon de trouver un autre logement sur le marché privé. Mi-juillet le bâtiment est ouvert afin de proposer des chambres aux travailleurs sans-papiers du Vieux Marché. 

À Bruxelles comme ailleurs, l’accès à un logement durable, décent et abordable reste pour les personnes sans-papiers extrêmement difficile. Le flou de leur situation administrative, leurs ressources souvent limitées et difficilement justifiables associées aux autres pratiques discriminatoires des propriétaires, sont autant de causes conduisant aux refus quasi systématiques de toute candidature pour un logement. Les personnes sans-papiers n’ont dès lors souvent d’autres choix que de se tourner vers les bailleurs les moins scrupuleux (pour ne pas écrire les pires marchands de sommeil). La situation est d’autant plus problématique que se rendre visible pour défendre ses droits en justice est un risque que beaucoup préfèrent ne pas courir. 

Dès lors, des chambres chauffées avec des sanitaires et douches privatives à moindre prix représentent une aubaine difficile à refuser. L’ancien hôtel se remplit ainsi doucement. Mi-septembre, une vingtaine de personnes y sont installées, dont une majorité de sans-papiers. Afin d’avoir leur place, toutes doivent payer aux «  logeurs » une somme unique, et non un loyer mensuel, comprise entre 30 et 500 euros, ou parfois rien si la personne peut, en échange du logement, rendre service en assurant par exemple un semblant de service de conciergerie. Aucun des occupants ne sait, par contre, combien les autres ont payé. Certains pensent même être hébergés par une structure associative occupant l’immeuble en accord avec le propriétaire.

3ème acte : Vider un squat illégalement

Les événements vont se précipiter le 26 septembre. Ce jour-là, un rendez-vous est pris au Galia entre un employé, Mr. S., fonctionnaire dirigeant de la RF et plusieurs associations du quartier afin d’envisager d’y organiser un « événement social » durant quelques jours, en parallèle du projet de rénovation des lieux. Arrivant sur place Mr S. et les représentants des autres associations constatent que le cylindre d’une porte est arraché et qu’une autre porte est enfoncée. C’est en entrant dans le bâtiment que le propriétaire, la Région, constate pour la première fois que le bâtiment est habité.

Très vite, Mr S. contacte le service juridique de son institution. Celui-ci lui demande de faire appel à la police… Un occupant témoigne : « Le mardi 26 septembre aux alentours de 10h du matin, je commence à entendre beaucoup de bruits, on défonce les portes, les flics crient :Faut sortir, dehors, le propriétaire veut retrouver son bien. Les flics ont frappé à ma porte, j’ai eu le temps d’ouvrir, mais sinon ils l’auraient défoncée. Je dis que le propriétaire doit avoir un jugement. Ils répondent : “C’est nous qui décidons. Vous avez dix minutes, rassemblez vos affaires et sortez. Parmi la quinzaine de flics de l’opération, je vois un civil. Il se présente, Mr S.. Il se propose de rester sur place pour autoriser, au cas par cas, les personnes à aller, seules, chercher leurs affaires personnelles jusqu’au début d’après-midi. Vers midi, les flics s’en vont pendant qu’un sous-traitant arrive en début d’après-midi pour condamner les lieux ». Si la RF expliquera que les occupants ont volontairement quitté les lieux, difficile de les imaginer partir à la hâte et de leur plein gré en laissant derrière eux tous leurs effets personnels dont leurs papiers.

Précisons par ailleurs l’absence de toute procédure en Justice de Paix, les signes effectifs d’utilisation des logements rendant illégale toute tentative d’expulsion. Pour rappel, les procédures d’expulsion ne peuvent être entamées que sur décision d’un juge de Paix ou dans le cas  de danger immédiat pour les occupants, par le bourgmestre. Les autres expulsions dites « sauvages » sont le fait de propriétaires souhaitant à peu de frais se débarrasser d’occupants jugés indésirables mais peuvent aussi se dérouler avec le concours de la police, parfois peu outillées pour apprécier la situation et/ou couvertes par les mandataires politiques. Les personnes sans-papiers sont particulièrement exposées à ce genre de pratique.

Contactés par un des occupants expulsés, le Front Anti-Expulsion1 et l’Union des Locataires Marolienne2 (ULM) se rendent sur place. Tandis que les accès au bâtiment commencent à être condamnés, une nouvelle négociation s’engage avec Mr S. Elle porte sur la signature d’une nouvelle convention d’occupation, que Mr S. conditionne au départ préalable de tous les occupants. Les institutions publiques préfèrent en effet souvent, plutôt que de régulariser une situation existante, signer une convention d’occupation pour un immeuble au préalable à son occupation. Il est dès lors plus facile de fixer des conditions et de choisir les occupants. Petit à petit, profitant de la seule présence sur place de Mr S. et des accès encore libres, plusieurs occupants entrent à nouveau dans le bâtiment. Très vite dépassé par la situation, Mr S., sur ordre du service juridique de la Région, fait à nouveau appel à la police pour faire vider les lieux. 

Se basant sur un simple rapport des pompiers, la Région, soutenue par la police revenue sur place, explique cette fois-ci l’urgence de le vider pour des raisons de sécurité. Le rapport insiste pourtant non pas sur l’impossibilité d’occuper l’immeuble, avec certaines réserves, mais surtout sur la nécessité d’encadrer une éventuelle occupation. Mais cette fois-ci, face à l’évidence du défaut de procédure et surtout du fait de la présence d’organisations soutenant les occupants, la police refuse d’expulser les habitants. Pourtant, de nombreux occupants, effrayés par la première descente de police, ne réapparaîtront plus. La moitié reste, la moitié s’en va ou ne reviendra qu’après plusieurs semaines.

4ème acte : Vider un squat légalement

Dès le lendemain, contrariée par la présence toujours effective des occupants dans un bâtiment qu’elle voue à d’autres desseins, la RF décide d’introduire rapidement une requête unilatérale, procédure souvent rapide, auprès de la justice de Paix en demandant l’expulsion des occupants. Les requêtes unilatérales sont par essence non-contradictoires, ce qui entraîne des conséquences fâcheuses pour les occupants : ils ne sont pas avertis de la procédure intentée à leur encontre et donc de la date de l’audience, et ne peuvent donc être entendus par un juge pour défendre leurs droits. Le 5 octobre, le tribunal fait droit à ces demandes, autorisant ainsi la RF à rapidement mettre en œuvre l’expulsion. Malgré ce premier jugement en sa faveur, la RF n’y procédera pas directement. Cette absence de diligence tient sûrement à deux facteurs.

Le premier est sans doute la décision d’une dizaine d’occupants défendus par deux avocats dont l’un représentant la Ligue des Droits Humains, de faire appel afin de contester l’impossibilité pour le propriétaire de connaître l’identité des occupants et donc d’introduire un recours unilatéral. Le recours à la requête unilatérale n’est en effet permis que pour cause d’impossibilité d’identifier la partie adverse. Dans le cas présent, les efforts de la RF pour savoir qui occupait l’ancien établissement hôtelier sont plutôt maigres : une recherche sur le registre des populations pour savoir qui y était domicilié, sans résultat, la plupart des personnes étant sans papiers… Dès lors, si l’expulsion est encore possible, difficile pour la RF d’y procéder sans s’exposer à de lourdes indemnités si le jugement en appel lui est défavorable. 

Le second facteur tient sans doute aux négociations débutées entre la RF et les occupants soutenus par l’ULM et certaines associations concernées par le relogement des personnes. Mais le profil des personnes, des hommes seuls, pour une grande partie sans-papiers rendait difficiles les recherches, menées sans soutien politique des autorités locales ou régionales. Les différentes structures, du Samu Social aux grandes associations d’aide aux personnes migrantes sont sur-sollicitées, spécialement durant cette période hivernale.

5ème acte :  Rentabiliser les espaces

Les négociations se complexifient d’autant plus que le nombre d’occupants augmente rapidement. Fin novembre, lors d’une visite improvisée, la police estime à une centaine le nombre d’occupants. De la guérite du concierge aux caves, tous les espaces sont occupés. L’une des hypothèses pour expliquer cette soudaine évolution est à rechercher dans la volonté de profit des « logeurs ». « Convaincu que c’est foutu, ils ont essayé de rentabiliser le plus vite possible avant l’expulsion du bâtiment », nous explique un ancien occupant. Suite au jugement autorisant l’expulsion et peu intéressés par les démarches entreprises par le secteur associatif pour permettre le relogement des personnes, les «  logeurs » sentent la fin prochaine de l’occupation. Pour rappel, si le premier accès aux chambres est tarifé, ce ne sont pas des équivalents de loyer qui sont demandés. Une fois que les chambres sont pleines, plus rien ne peut donc être tiré du bâtiment. Si les premiers occupants étaient triés sur le volet, désormais, qui peut payer, peut entrer. 

Une centaine de personnes vivant dans un espace restreint, certaines sous influence, sans aucun accompagnement ou encadrement proposé et la menace d’une expulsion imminente font monter la pression dans l’immeuble. Plus grave, fin novembre, deux départs d’incendie sont rapidement éteints par les occupants. Si les explications manquent, tout laisse à penser à un acte criminel. Une vengeance suite à une altercation ? Lors du premier incident, une personne est prise à partie et mise dehors manu militari par les autres occupants. Lors du second, l’auteur ne sera pas retrouvé mais dans la chambre entièrement brûlée, les restes carbonisés d’une pile de matelas étrangement empilés suggèrent que l’accident était souhaité.

6ème acte : L’incendie

Il se déroulera finalement quelques jours plus tard, le 28 novembre. L’un des locataires, présent le jour de l’incendie témoigne : « J’étais dans ma chambre lorsque j’entends des bris de vitres, j’entends qu’on casse des carreaux. Avec du recul, je me dis que c’était peut-être pour créer un appel d’air. J’entends qu’on met des affaires derrière la porte. Puis, les bruits d’un crépitement ». Deux départs d’incendie ont lieu de manière quasi simultanée, au troisième étage côté arrière, au même endroit que lors du second départ d’incendie et de l’autre côté du bâtiment, sous les combles. Le feu prend rapidement. Les occupants sortent précipitamment, certains ont le temps de rassembler leurs affaires avant de quitter les lieux. D’autres sont moins chanceux. « Je regretterai toujours de ne pas avoir pris mon sac à dos », ajoute l’un d’eux.

Les pompiers arrivent rapidement et déploient des moyens importants. Un périmètre de sécurité est installé par la police, interdisant l’accès à toute la place, tandis que la Croix-Rouge installe un poste de secours avancé. Le pire est évité : sur la centaine de personnes qui squattaient le bâtiment, seulement quelques blessés légers. Au milieu des badauds assistant au déploiement des équipes de pompiers et de police, des occupants restent sur le carreau. Des altercations entre certains ont lieu. « Des gars ont essayé de se battre contre les gars qui ont mis le feu », nous expliquera un occupant. Le bourgmestre Philippe Close descend lui aussi sur place pour « s’enquérir de l’état de santé » des cinq blessés légers de l’incendie. Ni lui, ni la Région, ne s’inquiètent pourtant du relogement de la centaine de personnes laissées à la rue. Seulement neuf d’entre eux trouveront un hébergement d’urgence par l’intermédiaire de BelRefugees. Que sont devenus les autres ?

Acte final : Et maintenant?

Les occupants, sans soutien, ont sans aucun doute grossi le contingent du nombre de personnes en situation de sans-abrisme ou de mal logement en Région bruxelloise. En 2022, Bruss’Help recensait 7.134 personnes en situation de sans-abrisme ou de mal logement. Pourtant, face à ce constat, les capacités d’hébergement d’urgence restent structurellement insuffisantes à Bruxelles. La région avance une capacité d’hébergement de seulement 5.000 places, forçant les structures à opérer une sélection et refuser les personnes jugées les moins fragiles, souvent les hommes seuls. Parallèlement, la décision du gouvernement en septembre 2023 de ne plus accepter les hommes isolés demandeurs d’asile au sein du réseau d’accueil Fedasil met une pression supplémentaire sur les hébergements d’urgence.

En voulant précipiter le départ des occupants sans tenter de trouver de solutions de relogement, les autorités régionales ont sans doute une part de responsabilité importante dans la mise à la rue de ces personnes. Les travaux et l’ouverture du centre d’accueil pour personnes victimes de violences intrafamiliales, désormais reporté de quelques mois, a servi de prétexte à l’intransigeance de la Région. En chassant des personnes fragilisées pour en mettre d’autres qui le sont tout autant, la Région organise une mise en concurrence de personnes précarisées pour les rares espaces encore disponibles.

L’autre dommage collatéral de l’incendie est sans doute la répression importante des squats sur le territoire de la ville de Bruxelles dans les semaines qui ont suivi l’incendie, plusieurs d’entre eux ont été expulsés manu militari par les forces de l’ordre. Dans ceux-ci, peut-être y avait-il des occupants de l’hôtel Galia sans autres choix que d’ouvrir de nouveaux squats. En Région bruxelloise, un double mouvement est à l’œuvre : les nouvelles mesures législatives anti-squat couplées à la multiplication des conventions précaires avec les résultats qui en découlent, apparaissent comme deux phénomènes qui participent à la marginalisation et la criminalisation des personnes privées de leur droit à un logement.

Jordi Satva

[Photo : Nadine Collart]
  1. Le Front Anti-Expulsions est un collectif qui lutte contre les expulsions de domicile et tisse un réseau de solidarité à Bruxelles. ↩︎
  2. L’Union des Locataires Marollienne est une association luttant pour défendre le droit au Logement et proposant une aide aux personnes en conflit avec leur propriétaire ou en recherche de logement. ↩︎