Bonnes nouvelles rue de la Porte Rouge
Dans le Pavé dans les Marolles n°9, nous avions consacré un article à la vente de cinq immeubles à un promoteur privé par la Fabrique d’Église des Minimes. Depuis lors, grâce à une forte mobilisation et suite à de nombreux rebondissements, la vente a été annulée !
Pour rappel, en décembre 2021, la Fabrique d’Église Saints-Jean-et-Etienne-aux-Minimes (FE) décide de mettre en vente cinq maisons de la rue de la Porte Rouge alors occupées par des familles précarisées ainsi que par l’asbl Atelier des Droits Sociaux. Deux potentiels acquéreurs formulent alors une offre : le CPAS de la Ville de Bruxelles, qui souhaite en faire des logements de transit destinés à des personnes vulnérables ayant besoin d’être hébergées en urgence, et une société privée, qui pour sa part compte en faire du logement de type coliving, c’est-à-dire des colocations de luxe impayables pour la plupart des Bruxellois.
C’est cette seconde offre, supérieure de 20.000 € à celle du CPAS, qui est retenue. Un compromis est signé entre les deux parties. Cependant, selon une loi de 1809, les Fabriques d’Église doivent, pour toutes les ventes de biens immobiliers, obtenir un accord de leurs organismes de tutelle, en l’occurrence la Région Bruxelloise et l’évêque compétent. Si ce dernier a donné rapidement son accord, la Région quant à elle tardera à prendre une décision. Il était donc encore possible de faire marche arrière.
L’occupation d’un immeuble vide comme solution temporaire contre l’expulsion
En avril 2022, une pétition est lancée invitant le Ministre-Président Rudi Vervoort à refuser le compromis. Elle recueille 1500 signatures mais ne suscite aucune réaction de la part de la Région. La situation change le 16 septembre, lorsqu’une famille avec cinq enfants se fait expulser par un marchand de sommeil. Elle n’a d’autre choix que d’occuper, avec l’aide du Collectif Jacques Van der Biest1, l’un des cinq bâtiments concernés par la vente.
Ce jour-là, le Collectif Jacques Van der Biest, le Front Anti-Expulsions et d’autres personnes solidaires sont présentes pour aider la famille à déménager, mais également pour l’accompagner dans les négociations avec les administrateurs de la FE. En effet, il s’agit de convaincre celle-ci de garantir un minimum de stabilité à la famille, le temps qu’elle puisse retrouver un logement.
Bien que dans un premier temps la FE ne cautionne pas l’occupation de l’immeuble, ses représentants finissent par accepter de négocier une convention d’occupation précaire. Très vite, l’idée d’introduire une demande d’expulsion auprès du Juge de Paix est écartée.
Lors de cette journée du 16 septembre, le fait que la FE ait décidé de vendre ses biens à un investisseur privé plutôt qu’à une institution publique est également remis en question. Interpellée sur le sujet, la secrétaire de la FE, Lusin Cetin, se défend en affirmant aux journalistes que son institution n’est pas dotée d’un objectif social et qu’il est normal, en tant que « personne prudente et raisonnable » de privilégier l’offre la plus élevée. Elle mentionne également le fait que « la Fabrique était contrainte de vendre afin de faire des travaux [nécessaires dans les biens appartenant actuellement à la FE] et acquérir d’autres biens » et reproche au CPAS de s’être « manifesté tardivement sur un potentiel achat » alors que « la Fabrique d’Église leur avait proposé de se positionner plusieurs fois », mais jamais à hauteur du privé.
Réagissant par communiqué de presse à cette prise de position, le président du CPAS de la Ville de Bruxelles, Khalid Zian, fait savoir que son institution a remis quatre offres d’achat mais a « finalement dû jeter l’éponge ». Il dénonce « un jeu malsain de la Fabrique, qui contribuerait à faire grimper les prix d’un quartier déjà en proie à la gentrification ».
La tutelle de légalité et la tutelle d’opportunité
Cette occupation constitua une nouvelle occasion d’interpeller le Ministre-Président bruxellois. Contactés à plusieurs reprises, l’administration et le cabinet de Rudi Vervoort réagirent enfin en regrettant que « la Fabrique d’Église ait fait le choix d’avoir vendu au plus offrant, […] d’autant plus que le CPAS avait fait une offre supérieure à l’évaluation du Comité d’acquisition ».
Malgré cette incompréhension affichée, la Région affirma déplorer le manque d’outils juridiques à sa disposition pour faire annuler la vente. Selon le cabinet du Ministre-Président, la Région ne pouvait refuser la vente que si le compromis comportait des vices de légalité dans la procédure de vente (tutelle de légalité). Le fait que la vente aille à l’encontre de l’intérêt général (tutelle d’opportunité) ne constituant pas un motif valable de refus.
Grâce au travail de quelques avocats engagés, le Collectif Jacques Van der Biest put collecter de nombreux arguments juridiques démontrant la double nature de la tutelle régionale. Ceux-ci furent présentés et défendus en novembre 2022, lors d’une rencontre réunissant le cabinet et le collectif. Fin janvier 2023, après de longues négociations entres les parties, le CPAS annonça enfin racheter les cinq immeubles à la FE ! Selon le communiqué du CPAS, le Ministre-Président est ainsi intervenu « au nom de l’intérêt général, notamment en ce que les immeubles en question, sont situés dans un périmètre en tension au niveau de l’offre en logements accessibles financièrement ». En effet, l’arrêté adopté par Rudi Vervoort refusa la vente en se basant non seulement sur des arguments concernant les manquements légaux dans la procédure de vente, mais surtout, en se positionnant politiquement sur le dossier. Une première dans l’histoire de Bruxelles !
Quelle est la différence entre un bon et un mauvais logement à caractère social ?
Restait à savoir dans quelles conditions le caractère social de ces logements serait conservé… Les logements de l’agence immobilière du CPAS de la Ville de Bruxelles, nommée Brudomo, se divisent en deux catégories. Une partie des logements loués par le CPAS correspond à des biens construits avec des fonds propres et dont les loyers sont proches de ceux observables sur le marché privé. L’autre partie du parc immobilier est composé de logements pour lesquels le CPAS a obtenu des subsides de la Région, ce qui oblige ce dernier à réguler les loyers des biens en question.
Pour ce qui est de l’acquisition et de la rénovation des immeubles de la Porte Rouge, l’argent proviendra bien d’institutions régionales. L’achat des biens a été rendu possible grâce à un appel à projet de Bruxelles Logement, c’est-à-dire de l’administration du logement de la Région de Bruxelles-Capitale. Concernant la rénovation, le CPAS de la Ville de Bruxelles va très probablement bénéficier d’un subside délivré par l’administration régionale urban.brussels2.
Si au moment d’imprimer cet article, aucune communication officielle du CPAS concernant le montant des loyers n’a été publiée, les dernières informations que nous avons obtenues semblent rassurantes. Les loyers devraient correspondre à ceux pratiqués par les Agences Immobilières Sociales (AIS). Quant aux règles d’attribution de ces logements, les revenus des ménages ne devront pas dépasser ceux fixés pour les logements sociaux, indexés et augmentés de 20%.
Les (grandes) familles avant tout !
Enfin, des interrogations subsistaient quant à la typologie des logements proposés. Au vu des montants avancés dans la presse, le CPAS de la Ville de Bruxelles opterait à priori soit pour une rénovation lourde, soit pour une démolition-reconstruction. Les coûts de rénovation mis en avant par ce dernier s’élèveraient à 4,3 millions d’euros pour cinq immeubles ! Un investissement d’une telle ampleur pourrait amener une transformation de la structure actuelle des bâtiments en unités de logements beaucoup plus petites. Plus de logements, c’est en effet plus de loyers perçus. Pourtant, Bruxelles manque cruellement de logements accessibles aux grandes familles… Mais à priori, là encore les nouvelles semblent rassurantes : selon nos informations, la typologie des logements oscillera entre cinq maisons unifamiliales de quatre ou cinq chambres et douze logements (studios, appartements et maison).
Reste que, généralement, les logements subventionnés perdent leur caractère social après 30 ans et peuvent par la suite être loués au prix du marché. Un prix du marché qui, comme on le sait, est devenu cruellement inaccessible pour une majorité de Bruxellois et Bruxelloises…
Caro, Mathieu et Andrzej
(1) Du nom de l’ancien prêtre de l’Église des Minimes, aujourd’hui décédé, connu pour son implication dans différentes luttes du quartier. En 1969, il prit notamment une part active à ce qu’on appela la Bataille des Marolles durant laquelle les habitants s’opposèrent à l’extension du Palais de Justice impliquant l’expulsion de 1200 personnes.
(2) Il s’agit d’un organisme public régional chargé d’urbanisme, de patrimoine culturel mobilier et immobilier et de gestion des programmes opérationnels de revitalisation urbaine.