Ben, magicien des pâtisseries
Tous les dimanches, de 13h à 15h, les portes du Pianocktail rue Haute, s’ouvrent aux gourmets de « l’Atelier du goût ». Si de semaine en semaine, des personnes se relaient pour servir les préparations qu’iels ont mitonnées, le dessert du jour est toujours proposé et réalisé par Ben.
En 1977, lorsque la famille Memdé quitte l’Afrique pour rejoindre l’ambassade du Tchad, Ben a huit ans. Ce qui l’a le plus impressionné lors de son arrivée à Bruxelles, ce sont le froid et les vitrines des pâtisseries. Quand des années plus tard, Pierrot, l’initiateur de l’« Atelier du goût » au Pianocktail, lui demande de réaliser les desserts du dimanche, Ben est ravi : « La pâtisserie, mes aïeux ! Il y a la technique, il y a l’imagination, la créativité ! » De la technique, de l’imagination et de la créativité Ben n’en manque pas. Passionné, curieux, il maîtrise parfaitement les grands classiques à savoir pâtes feuilletée, brisée, sablée ; crème pâtissière ; mousses de chocolat, de fruits de saison et différentes croûtes que sa palette de goûts, de nuances rehausse selon son inspiration du jour et de la saison. Le résultat : un régal !
Tout commence bien
A l’école primaire et au secondaire, à part que certains enfants le surnommaient “Blondin1“, Ben n’a pas trop souffert de racisme, « J’ai toujours eu le sens de la répartie, en plus j’étais costaud. » Amusé, il ajoute : « Étant le septième d’une fratrie de dix enfants, en cas de besoin, il y avait toujours un grand frère ! ». Son cursus scolaire se termine à l’Institut Supérieur de Formation Continue d’Etterbeek d’où il sort diplômé en comptabilité et marketing-management.
Dégringolade
Professionnellement, il met en pratique ce que l’Institut Supérieur lui a enseigné. « J’avais appris comment et pourquoi presser les gens jusqu’au moment où je me suis fait broyer moi-même. » Burn-out, problèmes familiaux, divorce, décès se succèdent, il se souvient :
« J’étais perdu. J’ai craqué. Je me suis retrouvé au centre hospitalier Titeca. » Il y demeure trois ans. « J’ai été obligé de suivre une thérapie et ça m’a permis de faire une coupure et de me rétablir. » Pour quitter l’institution psychiatrique, il doit choisir un médecin de référence extérieur à l’hôpital et proposer un projet de vie. Se souvenant de sa fascination d’enfant, il sera Pâtissier.
Le CERIA
Il découvre l’école de promotion sociale pour adultes le CERIA. Il s’enthousiasme : « Tu peux te réorienter, faire autre chose de ta vie. C’est vraiment pour donner une deuxième chance. » Il décide d’y suivre les cours de Boulanger-Pâtissier : « Voir comment on fait, comment on apprend tout ça. » Lors de la rentrée scolaire de 2012, il attend son tour pour s’inscrire au CERIA. Lorsqu’il est enfin appelé, il n’y a plus de place. « J’ai attendu de 8h jusque 15h, j’allais pas rentrer à la maison. » C’est pourquoi il s’inscrit en restauration. Formation de trois ans.
N’ayant pas tout compris aux arcanes des inscriptions de cette institution, il choisit des ateliers disponibles. Ainsi, avant de pouvoir suivre en 2018, les cours de boulanger-pâtissier, il obtient les diplômes et l’accès à la profession en plus de ceux de la restauration, de boucher-charcutier, de chocolatier-confiseur. Il confie : « Quand même. Il m’a fallu sept ans pour comprendre ! Au début, des fois, j’ai senti une forme de mépris, du dédain pour le travail manuel mais pour moi c’était un challenge. »
Un challenge
La formation de Boulangerie-Pâtisserie étalée sur trois ans, comprend, comme tous les apprentissages du CERIA, des cours théoriques, des cours pratiques et cent heures de stage par an chez des professionnels. Il se rappelle : « Quand tu es vraiment intéressé, passionné, certains profs sont disponibles, et aussi tu as le matériel nécessaire et tu fais des stages en situation réelle ». Un de ses stages a lieu dans la boulangerie Vereke située Plaine de l’Aviation à Evere. Son travail commence vers 4 heures du matin. A ce moment-là, Ben vit dans une habitation protégée à Jette et, si tôt, il n’y a pas de transport en commun. Il explique : « Je me levais à 2h30 le matin, je marchais une heure, je commençais le travail qui se terminait vers midi et je devais être au CERIA à 13 heures. Trois jours par semaine pendant un mois, j’étais mort. Je rentrais à la maison, je m’écroulais jusqu’au lendemain. » C’est le dernier jour de ce stage que son patron a compris pourquoi, certains matins, Ben était si fatigué.
Après le CERIA
« J’ai fait ça par passion, parce que j’avais le temps et la curiosité ». En sortant du CERIA, Ben aimerait s’installer artisan chocolatier, malheureusement il ne dispose pas des capitaux nécessaires. Quand il répond à une annonce, il a peu de succès. « La passion, l’envie, la motivation, les patrons n’en ont rien à foutre ! » Le nombre de diplômes est-ce un avantage ? Il n’y croit pas : « Honnêtement, tu es un patron, moi je me présente. J’suis cuisinier. J’suis boucher. J’suis chocolatier et en même temps, comble de l’histoire, boulanger–pâtissier. Et chaque fois avec un accès à la profession. Tu vas me prendre pour quoi exactement ? » En plus les stages lui ont montré toutes les faces du travail : « Si tu veux le niveau pénibilité, tu vas en boulangerie-pâtisserie, en boucherie-charcuterie. Je t’assure que tu vois ce que c’est ! » Pour l’un, se lever dans la nuit, respirer de la farine, avoir des charges de 25 kg, parce que chaque sac pèse 25 kg. Pour l’autre, c’est le frigo. Le nombre de fois qu’il faut y aller et en sortir sur une journée, porter les carcasses. « J’ai vu des bouchers dont les rotules sont bousillées, les coudes sont bousillés ; à force de porter les carcasses, la colonne est cassée. »
Rencontre avec le Pianocktail
C’est en 2015 à la fin de sa formation de restaurateur que, sur le conseil de sa psychiatre, Ben prend contact avec le Pianocktail, lieu de rencontres et de convivialité. « Au départ, je venais manger le dimanche et rencontrer des gens et puis un jour on m’a parlé de
“l’Assemblée Participative”. » Cette assemblée est ouverte à toutes personnes désireuses de prendre part à la vie du Pianocktail, d’y réaliser des projets bénévolement. Il propose de participer à « l’Atelier du goût2 ». Il atteste : « Cuisiner pour soi seul, c’est pas drôle mais cuisiner pour d’autres, tu as un aperçu direct, c’est bon, c’est pas bon ! »
Il assure longtemps ce service jusqu’au moment où ce qui entoure la préparation des repas devient trop pesant : « Avancer l’argent ; jeudi, faire les courses ; samedi, la mise en place et puis après le repas, le nettoyage ; tout ça finit par tuer le plaisir ! » C’est à ce moment-là que Pierrot lui propose de se consacrer aux desserts. Depuis lors, tous les dimanches, les gourmets de « l’Atelier du goût » dégustent pour 2€ les merveilleux gâteaux de Ben.
Nicole Tonneau